"C'est un peu la campagne" : à Clermont-Ferrand, un "coin de paradis" au cœur des quartiers
2.000 m² de bonheur. Parole de jardiniers. Dans le nord de la capitale auvergnate, les jardins familiaux sont une échappatoire. Certains y ont leurs habitudes, d’autres y cultivent leur main verte. Une chose est sûre, tous se sentent comme chez eux. Avec un attachement quasi sentimental.
Fin avril. Manteau et bonnet kaki, René, 78 ans, est chiffon. "Aujourd’hui, on ne va pas dans le jardin. Ça colle aux godasses avec l’eau." Ses bottes marron en témoignent. Quarante-neuf ans qu’il "passe sa vie" dans sa parcelle, au nord de Clermont-Ferrand, à l’extrémité du quartier des Vergnes. La capitale auvergnate comprend 40.216 m² de jardins familiaux. Aux Vergnes, ce sont plus de 2.000 m² qui sont loués. "J’y viens tous les jours", explique René. Il rigole. "Sauf le dimanche, où je vais à la messe."
Il partage son "coin de paradis" avec Nicole, 72 ans. Mais ce jour-là, elle n’est pas sereine. Le ciel se remplit de gris et quelques gouttes tombent. En pleine préparation des bouquets de muguet pour le 1er mai, elle finit par lâcher : "Je suis inquiète pour mes tomates..." Quand ils ne parlent pas légumes et jardin, la conversation tourne autour de leurs amis. De la vie en général. Le temps de faire le tour du propriétaire. Sous le cabanon de René, du matériel de jardinage, bien sûr. Sur un mur, un almanach du facteur de 2013, une photo de son ancien chef à l’Armée, le général Marcel Bigeard, "un para, il faut le saluer !" Bref, toute sa vie. Et surtout, de quoi passer de longues journées au jardin.
"C'est un peu la campagne"Car René est un gaillard. Il l’a été toute sa vie. Natif du "pays d’Aimé Jacquet", comprendre ici Sail-sous-Couzan, dans la Loire, il entre chez Michelin en 1968. "Je suis parti début 1969." La raison ? "J’ai quitté le métier, ils voulaient m’augmenter, j’ai dit non. On faisait de sacrées journées !", se rappelle-t-il. Avant cela, il était boulanger. Ses mains attestent du dur labeur. Et maintenant, elles remuent la terre, plantent des salades, des carottes ou des asperges. "C’est un peu la campagne", dit-il, en regardant fièrement sa parcelle de terre.
"Ici, c’est mon havre de paix", résume René
Qu’il fasse chaud ou froid, qu’il vente ou qu’il neige, René est toujours dans son jardin. Un sacré mode de vie qu’il détaille. "L’été, je viens de bonne heure si j’ai des haricots. J’y reste jusqu’à sept ou neuf heures du soir. Le reste du temps, j’emmène le casse-croûte, je fais la sieste l’après-midi. Ceux qui veulent des légumes, ils me chatouillent pour en avoir."
Ce ne serait pas exagéré de dire que l’attachement de René à sa parcelle de jardin relève d’une véritable histoire d’amour. Il le dit lui-même. "Ici, c’est mon havre de paix." Il s’y sent comme chez lui, c’est sa deuxième maison. Et pour rien au monde il l’abandonnerait. Même si le boulot au jardin est de plus en plus dur. "C’est quand ça devient une corvée qu’il faut s’arrêter. Les épaules ne suivent plus. Je suis vieux, comme les autres." Avec toutes ces années passées là, il s’est fait de nombreux copains. "Parfois, je trouve même des cadeaux sur la table en arrivant !", sourit-il.
Barbecues et petits-enfantsEn face de la parcelle de René, Malika, 65 ans, a la tête plongée dans des consoudes, des plantes alliées du potager. Maintenant que cette ancienne employée de mairie est à la retraite, elle peut venir plus souvent. Sur sa parcelle, qu’elle loue 70 € à l’année, se trouvent des haricots, des courgettes, des poireaux, des fraises... Elle cultive sa main verte. "J’ai appris sur le tas et maintenant, j’arrive à avoir de beaux légumes."
Comme son voisin René, elle est unanime : le jardin est une échappatoire.
Je me sens bien, je suis dehors, ça me sort de mes quatre murs. C’est un espace de verdure, de tranquillité. Un lieu où on se retrouve. Parfois, j’y emmène mes petits-enfants.
Une parenthèse bon enfant au cœur de la ville. "Je ne me verrais pas sans jardin", résume-t-elle.
Mi-mai. La pluie a laissé place au soleil. Nicole est toujours inquiète pour ses tomates. "Ça crèvera si ça veut !", soupire-t-elle. À cause des caprices de la météo, René a troqué son manteau et son bonnet kaki pour une chemise et une casquette. Il passe quelques coups de râteaux pour planter des salades. Les beaux jours reviennent. Ses bottes ne prennent plus l’eau.
Texte et photos : Adrien Fillon