Clandestin et émigré : d'origine portugaise, Jacques et Séraphin, ont connu la dictature d’Antonio Salazar
Alors que l’on célèbre actuellement le 50e anniversaire de la Révolution des Œillets au Portugal, deux Tullistes d’origine portugaise se remémorent leur jeunesse sous la dictature. Jacques s’est enfui à 17 ans. Plus jeune, Séraphin a suivi sa famille, partie légalement.
« On n’a pas vécu la même chose, chacun à son histoire », admet Jacques Da Sousa. Son ami Séraphin Da Silva confirme : « C’est vrai, moi, je n’ai jamais eu affaire à la police politique du régime mais si jamais je rencontrais quelqu’un qui se vante d’avoir fait partie de la Pide (*), je lui fichais mon poing dans la figure ».Soixante ans après avoir quitté le Portugal, la colère anime encore Séraphin. La police politique surveillait la population, traquait les opposant et faisait respecter la censure. Jacques Da Sousa, l’a bien connu. « J’étais jeune et un peu rebelle, je me suis fait courser trois fois par les types de la Pide dans la petite ville où j’habitais. Et puis, on voyait l’absence de liberté pour nos parents, pour la jeunesse, nous avions interdiction de nous rassembler à plus de 10… Je me souviens qu’on allait écouter Radio Moscou chez le barbier, c’était une radio d’opposition, interdite bien sûr. À 17 ans, j’ai bien compris qu’il fallait que je parte », se souvient-il.
« … Et je suis monté dans un petit camion bâché »Et ses parents, farouchement opposés au régime, l’ont soutenu dans sa décision. « Un soir, j’étais au café du village, ma mère est arrivé et m’a dit “les passeurs sont là, c’est maintenant qu’il faut partir”. J’ai juste eu le temps de mettre quelques affaires dans un sac et hop je suis monté dans un petit camion bâché ».Jacques dissimule son émotion. Il n’oublie rien : « Franchement, ça a été très dur le voyage. Au début on était dix là-dedans. Le camion s’arrêtait dans certains villages. Quand on est arrivé à la frontière espagnole, on était 65 ». Jacques, qui était encore à cette époque Joachim, se souvient d’une petite lumière dans le camion : verte, quand la route était calme, rouge quand il fallait se taire.La traversée de l’Espagne, pénible, et puis surtout, entre l’Espagne et la France, deux jours de marche : « Je ne sais pas combien on a fait de kilomètres. Les plus âgés avaient vraiment de la peine, certains ont abandonné, c’était triste ». Enfin, Jacques est arrivé à Hendaye. « En fait, certains fuyaient la dictature mais les jeunes, ils fuyaient surtout l’armée. À l’époque, c’était 36 mois en Angola ou au Mozambique ».D’autres encore fuyaient la misère et l’absence de perspectives.« Et puis, on l’oublie, mais il y avait aussi une filière légale d’émigration entre le Portugal et la France, intervient Séraphin, mes parents sont venus en France en 1960 en utilisant cette voie légale, mon père est parti le premier et dès qu’il a trouvé un travail et un appartement, la famille a suivi, ma mère, mes deux frères et moi ».Le père de Séraphin arrive à Tulle. Il a travaillé sur les chromes dans les garages mais surtout, il a travaillé à la mine dite du Pezat, à Gimel-les-Cascades.« On était en 1960, j’avais onze ans, en fait, on était des vrais immigrés ».
Un bout de papier et une adresse à TulleEntre l’émigration légale (le gouvernement portugais avait sur le sujet une politique changeante) et les départs clandestins, on estime que 450.000 Portugais ont quitté et/ou fui leur pays.« D’ailleurs, c’est bien ça qui appauvrissait le pays, explique Séraphin, à un moment, même les riches propriétaires fonciers n’avaient plus de main-d’œuvre sur les exploitations… faut dire aussi qu’ils payaient si mal les ouvriers ».Jacques a fini par arriver à Tulle. Bien soulagé. À Hendaye, le groupe a été « accueilli » par des gens dont il ignore tout mais qui avaient des DS, des tractions, des 404 breaks : « Je m’en souviens parce que j’aimais déjà les voitures, j’étais déjà mécano. Je me suis effondré de fatigue dans une voiture. Ensuite, on m’a laissé à Périgueux, à la gare, les autres continuaient vers la région parisienne. J’ai utilisé le billet de 50 francs que j’avais pour payer un taxi qui m’a amené à Tulle ».Dans sa poche, un précieux bout de papier : 28 rue de l‘Alverge, Tulle. La seule adresse qu’il avait pour point de chute.Pour Jacques comme pour Séraphin, la vie fut plus belle après. Beaucoup de travail, peu d’argent et, au fil des années, malgré tout, un peu plus d’aisance financière.
« Ben, on est Français ! »Jacques tient quand même à raconter ce qui semble sa plus belle connerie ! Trois ans après avoir fui, pris par le mal du pays, le besoin de revoir sa famille, il retourne au Portugal tout aussi clandestinement. Arrêté par la Police, il se souvient du coup de poing d’un policier qui avait pris soin de se munir d’un poing américain. « J’ai eu la chance de pouvoir repartir en France ».Après la dictature, ils sont souvent retournés au Portugal pour voir la famille. Un jour, Jacques a même appris que le barbier du village chez qui ils allaient écouter la fameuse « Radio Moscou » travaillait pour la Pide. Mais leur vie c’était la France.Retraités depuis quelques années, la passion automobile les a conduits tous deux au Rétro Mobil Club de Tulle. Jacques Da Sousa en est même le vice-président. Quand il n’est pas en balade avec le club et ses Simca (avec Séraphin et son Opel Ascona) Ils jouent à la belote ou à la pétanque…« Ben, on est Français ! », s’exclame Séraphin, volubile. « C’est vrai, on est Français », sourit Jacques. Ils sont Français et c’est peu dire qu’ils y tiennent.
(*) PIDE : Police internationale de défense de l’État, la Police politique sous le régime d’Antonio Salazar puis de Marcelo Caetano.
Arnaud Besnard