La tristesse de ceux qui restent après un homicide routier : "On dit que je suis veuve, j’ai horreur de ce mot-là"
La famille est venue parfois de loin pour assister à l’audience au tribunal d’Aurillac. Il y a notamment l’épouse de Georges Orsingher. Elle n’a pas pris la parole devant les juges, mais avait raconté sa nouvelle vie aux gendarmes, elle qui espérait la retraite avec celui qui partageait sa vie depuis cinq décennies. Épuisée : « Il y avait deux piliers, il n’y en a plus qu’un ». Désespérée : « On dit que je suis veuve. J’ai horreur de ce mot-là ».
Le 14 juin 2023, elle est avec son mari, 74 ans, en vacances près de Maurs. Il prend son vélo pour aller chercher le pain. La route est un peu étroite, la visibilité parfaite. Il fait beau. David Malbec, 29 ans, arrive en voiture derrière lui, à 74 km/h au lieu de 50. Il est ivre, conduit avec une bière à la main. Il ne l’a pas vu. Il s’arrêtera plusieurs kilomètres plus loin pour appeler les secours, mais trop tard. Georges Orsingher est mort sur le coup.
Cet amoureux de la nature, du sport, n’est plus là. « J’imagine qu’il est parti devant comme il le faisait en randonnée et qu’on le rattrapera plus tard », illustre une proche. Accompagnés par Me Émilie Dausset, ils décrivent l’indescriptible. Des mots peuvent être posés sur une tôle froissée, un corps meurtri, mais comment qualifier une absence ?
Émilie Dausset raconte les soirées d’été sous le tilleul et la guirlande lumineuse, où la grande famille se rassemblait, où une guitare sonnait, sans tristesse. Elle parle de ce grand-père qui jouait avec les bébés, à genoux sur la moquette, ce « moteur de tous les projets de la famille », ancien directeur d’un syndicat agricole dans le Loiret.
« On dit que je suis veuve. J’ai horreur de ce mot-là »Le prévenu écoute, hagard, comme absent. Né à la Réunion, adopté, il passe une enfance torturée dans le Lot, se retrouve toxicomane, alcoolique et sans domicile fixe, à Figeac. Il avait remonté la pente, une petite fille était arrivée avec une compagne éphémère. Cette enfant l’accroche à la vie, il trouve un logement, un travail… Mais il replonge.
Le 14 juin, « j’étais à bout ». Cela fait deux semaines qu’il laisse la petite à sa mère : « Je n’étais plus en état de m’en occuper. J’ai lâché prise ». Il se lève et boit. Au travail, il boit. Il quitte son travail sur un coup de tête et boit. Il conduit et boit. « En fait, je voulais prendre le mur, je réfléchissais à comment mourir. » Il n’a pas vu Georges Orsingher, qui profitait de la vie. Il avait 1,52 gramme d’alcool par litre de sang.
La fille du septuagénaire contient sa colère. Elle manie l’anaphore, rappelle ses accrochages avec la justice. Elle répète quatre fois : « Vous saviez que c’était interdit. On vous l’avait dit. Vous aviez des remords ». Elle laisse un silence.
Je n’arrive pas à croire que c’est un homicide involontaire. Pour moi, vous êtes un criminel
Détenu un temps, David Malbec a été laissé libre en octobre dans l’attente de ce procès. Il a reçu un avertissement depuis, il avait bu. Le prévenu a écrit une lettre pour la famille, mais la compagne de la victime fait « non » de la tête à son évocation. « Il reste un être humain, ce n’est pas un monstre. Il a une part d’humanité qu’il faut l’aider à faire surgir, défend son avocat, Me Chavinier. On ne doit pas le priver de son droit à devenir meilleur. »
Le jeune automobiliste a été condamné à deux ans de prison ferme et deux ans avec sursis probatoire. Son permis de conduire a été annulé, il ne pourra pas le passer avant cinq ans. En 2023, six personnes sont décédées sur les routes du Cantal. Georges Orsingher était le premier.
Pierre Chambaud