Pourquoi l'extrême droite pourrait devenir incontournable au Portugal
L’un des rares pays européens gouvernés par les Socialistes retourne, dimanche, aux urnes à l’occasion de législatives anticipées sur fond de poussée du parti d’extrême droite Chega.
Après la démission forcée en novembre du Premier ministre socialiste, Antonio Costa, en poste depuis 2015, sur fond d’affaire de corruption, les Portugais sont appelés, dimanche, aux urnes à l’occasion d’élections législatives anticipées. Un scrutin très incertain, selon Yves Léonard, historien spécialiste du Portugal, avec l’extrême droite en position d’arbitre.En près de dix ans au pouvoir, Antonio Costa pouvait se targuer d’une réussite économique incontestable. Pourquoi a-t-il chuté ?
C’est une question technocratique de gouvernance. Il y a eu des dysfonctionnements gouvernementaux, avec en toile de fond quelques scandales, dont le “Tapgate”, du nom de la compagnie aérienne nationale, qui ont émaillé les mois ayant suivi la conquête de la majorité absolue en janvier 2022. Une victoire après laquelle Antonio Costa courait depuis son arrivée au pouvoir en 2015. Jusque-là, le Parti socialiste avait été obligé de composer avec les autres partis de gauche, au sein d’une coalition que l’on appelait péjorativement la « geringonça », le machin. Avec la majorité absolue, s’ouvrait en apparence une période à la fois de stabilité et de liberté d’action. Mais comme cela a été souvent le cas dans l’histoire politique portugaise, la majorité absolue s’est traduite par une volonté d’abuser du pouvoir.Après la démission en novembre d’Antonio Costa, le président de la République, Marcelo Rebelo de Sousa, a choisi de dissoudre l’assemblée et non de nommer un nouveau Premier ministre issu du parti majoritaire. Pourquoi ?
La véritable toile de fond de cette affaire, ce sont les relations compliquées entre Antonio Costa et Marcelo Rebelo de Sousa. Le Portugal est souvent présenté comme un régime semi-présidentiel. Le président de la République n’est pas là que pour inaugurer les chrysanthèmes, il a également des pouvoirs constitutionnels, et notamment en cas de crise de pouvoir dissoudre l’Assemblée et donc de provoquer des élections anticipées. Or, dans le contexte d’une majorité absolue, le président de la République, qui est très médiatique, très interventionniste, avait vu son espace politique se réduire. Alors qu’auparavant, il jouait le rôle de modérateur en intervenant un peu à tort et à travers profitant d’un gouvernement minoritaire. Et au fil des affaires, quelque chose s’est cassé dans leur relation qui ressemblait à une cohabitation harmonieuse. Le fait qu’il ne puisse pas se représenter en 2026 au terme de son second mandat a dû également jouer.D’où cette dissolution ?
Marcelo Rebelo de Sousa n’aurait pas eu de mal à trouver un remplaçant. Ce qui aurait été logique pour une question de stabilité à l’approche du 50e anniversaire de la Révolution des œillets en avril. La dissolution est donc un choix politique. Il consiste à demander aux électeurs de se prononcer sur une affaire de corruption dont on ne se sait pas grand-chose. On a même appris après la démission de Costa que c’était beaucoup de bruit pour rien. Il y a sans doute l’arrière-pensée politique de donner un coup de pouce à sa formation d’origine, le PSD (Parti social-démocrate) qui n’arrive pas depuis 2015 à remonter la pente. Et que la lassitude de Costa et les affaires offraient une occasion rêvée de le remettre en selle. Avec le risque d’emmener sur son porte-bagages, comme passager clandestin, le parti d’extrême droite Chega. Bref, la tonalité générale n’est pas très saine.
Comment se présentent ces élections ?
En novembre, beaucoup d’observateurs pensaient qu’un boulevard s’ouvrait devant l’Alliance démocratique, construite autour du PSD. Ce boulevard, on ne le voit pas apparaître. Les sondages montrent deux choses. Une incertitude entre les deux grands partis de gouvernement, PS et PSD, qui sont au coude-à-coude autour de 30 %. C’est d’ailleurs l’un des problèmes puisque l’on risque de passer d’une situation claire, avec une majorité absolue, à une situation plus confuse avec une majorité relative. C’est déjà arrivé et la Constitution le permet.Quid de l’extrême droite et du parti Chega ?
Le deuxième enseignement des sondages, c’est justement l’ombre portée de Chega. Si les deux partis de gouvernement se talonnent, l’extrême droite a fortement augmenté. De 7,5 % aux élections de janvier 2022, il a dépassé il y a un mois et demi les 20 %. Il est redescendu depuis autour de 16, 17 %. Mais dans un système à la proportionnelle intégrale, cela fait beaucoup de députés et vous permet de peser. Son leader, André Ventura, un ancien du PSD, veut gouverner et participer à une coalition de droite, centre-droit un peu à la Meloni. L’Alliance démocratique, par la voix de son leader Luís Montenegro, a dit ne pas vouloir en entendre parler. Sauf qu’il y a un précédent aux Açores où un gouvernement régional PSD a pu se mettre en place avec l’appui des élus de Chega. Le PSD, auteur d’un excellent début de campagne, essaie d’endiguer, comme d’autres partis de droite européens, la progression de l’extrême droite en reprenant certains de ses thèmes comme l’immigration.
Mais le PS s’est bien réorganisé. Son nouveau leader, Pedro Nuno Santos, réalise une campagne tonique et peut compter sur gros maillage territorial. Le suspense est donc entier. C’est pour cela que les deux partis de gouvernement cherchent à mobiliser les indécis et en appellent au vote utile.
Propos recueillis par Dominique Diogon