René Maran, prix Goncourt 1921, était « Un homme pareil aux autres »
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Le prix Goncourt à un homme noir en 1921 ? Une bombe. Au point qu’au fin fond de l’Oubangui-Chari où il vit alors, le récipiendaire, René Maran, qui n’avait même pas rêvé d'être candidat, doit démissionner de son poste de fonctionnaire colonial.
Et si, vaine utopie, au lieu de déboulonner des statues, on en dressait une à René Maran, l’auteur de Batouala, sous-titré Véritable roman nègre ? Parce que le prix Goncourt de 1921 reste à jamais une révolution même si son auteur, le Martiniquais René Maran (*), 34 ans, fils d’un fonctionnaire guyanais, a depuis des décennies sombré dans les limbes, impitoyables, de l’oubli. Administrateur colonial en Oubangui-Chari (future République Centrafricaine), René Maran, qui a grandi dans un pensionnat girondin, donne pour la première fois de l’histoire littéraire française la première place de son roman à des personnages noirs. À la manière d’un conte, il décrit la vie d’un village banda au cœur de l’Afrique équatoriale autour de son chef, Batouala.
Et lui, frère de couleur de ses administrés, pose un regard sans ambiguïté sur la France coloniale. « Nous ne sommes que des chairs à impôt. Nous ne sommes que des bêtes de portage. Des bêtes ? Même pas. Nous sommes pour eux moins que des animaux, nous sommes plus bas que les plus bas. Ils nous crèvent lentement […] Les bondjous (ndlr : les Blancs) ne nous aiment pas […] Ils mentent comme on respire. Avec méthode et mémoire. De là leur supériorité sur nous. » déclame Batouala tandis que son père, en vieux sage, assure que « le lit excepté, le pernod est la seule importante invention des bondjous »…
Dès sa préface, l’écrivain avait planté le décor. « Civilisation […], orgueil des Européens, tu es la force qui prime le droit. Tu n’es pas un flambeau mais un incendie. Tout ce que tu touches, tu le consumes. »
Contraint de démissionnerEn décernant, il y a un siècle, le Goncourt à Maran qui n’avait rien demandé, les dix de l’Académie ont choisi leur camp. Et accepté d’être les auteurs d’un attentat contre la bonne conscience métropolitaine. Le succès de Batouala fait l’effet d’une bombe. La presse se déchaîne et quelques semaines plus tard, quand ils reçoivent la nouvelle, les colons français s’étouffent. Au point que René Maran est contraint de démissionner.
« J’ai fait contre mes intérêts les plus élémentaires tout mon devoir de Français et de Nègre »
Maran se doutait-il du scandale qu’allait provoquer son roman soumis au jury du Goncourt par son ami poète Manoël Gahisto ? Sans doute pas. Il a agi en homme libre et intègre, en témoin. « J’ai poussé la conscience objective jusqu’à y supprimer des réflexions qu’on aurait pu m’attribuer […] Ce roman ne tâche même pas à expliquer : il constate. Il ne s’indigne pas : il enregistre » assure-t-il dans la préface qu’il rédigera 16 ans après le Goncourt. En 1947, dans Un homme pareil aux autres c’est lui-même qu’il enregistre. Lui, cet homme domino, double par sa culture, à la fois colonisateur et des colonisés, réalité amère pour un humaniste.
Un visionnaire ?Quand on le qualifiera de « précurseur de la négritude » avant même Césaire et Sedar Senghor, il se défend, selon la spécialiste de littératures africaines, Lilyan Kesteloot, de promouvoir « une nouvelle forme de racisme plus qu’une forme d’humanisme ».
Parmi les événements qui célèbrent, discrètement, le centenaire de Batouala, figure sa réédition par Albin-Michel. L’écrivain (prix Goncourt 1993) Amin Maalouf en est le préfacier. « Son rêve d’un monde où le fait d’être noir ou blanc serait devenu sans objet était-il généreux et visionnaire, ou bien insensible et passéiste ? Un siècle s’est écoulé, et nous n’avons toujours pas la réponse […] L’idée que l’on puisse être simplement humain, sans s’attacher à une identité ethnique, raciale, religieuse ou autre, semble aujourd’hui aussi révolutionnaire et aussi inconcevable qu’il y a cent ans. ».
Le prix Goncourt 2021 est décerné mercredi 3 novembre.
Sophie Leclanché sophie.leclanche@centrefrance.com
(*) Disparu en 1960, René Maran a publié une trentaine d’ouvrages, romans, livrets de poésie, essais, biographies – dont celle de son ami Félix Eboué. Il a reçu le prix de la Société des gens de Lettres en 1949.
A voir: René Maran, l'éveilleur de conscience film documentaire de 52 mn réalisé par Serge Patient et Barcha Bauer (2006)