La France veut aller chercher les métaux rares déposés au fond des océans... sans saccager
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Emmanuel Macron a intégré l’exploration des grands fonds marins dans le plan d'investissements innovants France 2030. Son vaste espace maritime pourrait procurer à la France des ressources inespérées en métaux et matières rares sédimentés à des milliers de mètres de profondeurs. Mais troubler la parfaite quiétude des abysses, est-ce bien raisonnable ?
L’atoll de Clipperton, inhabité, ne fait que 2 kilomètres carrés. Ce confetti d’outre-mer est particulièrement isolé dans le Pacifique, à 1.300 kilomètres des côtes du Mexique et à plus de 5.000 kilomètres de Papeete. Cette fragile langue de terre est souillée par les plastiques qui s'y échouent mais elle offre à la France, « deuxième espace maritime mondial », une zone économique exclusive de 425.000 km². Mieux : à plus de 3.000 mètres de profondeur, les « plaines abyssales » de la zone Clipperton-Clarion (une île mexicaine), sont jonchées de « nodules polymétalliques ».
De la taille de pommes de terre, ces nodules sont composés d’« une grande variété de métaux, notamment du manganèse, du fer, du cuivre, du nickel, du cobalt, du plomb et du zinc et présentent, entre autres, des concentrations mineures, mais non négligeables, de molybdène, de lithium, de titane et de niobium », explique l’Autorité internationale des fonds marins.
Quand les ressources en métaux rares s'épuisent en surface.... les stocks sous-marins sont tentantsTout ce qui commence à faire défaut en somme sur les terres émergées pour fabriquer nos smartphones ou les batteries de voitures électriques.Le gisement sous-marin de la zone Clarion-Clipperton « renferme plus de nickel, de manganèse et de cobalt que la totalité des ressources terrestres ».En 2020, vingt à trente groupes miniers ont signé des contrats d’exploration, avec notamment de petits états du Pacifique. Réunie le mois dernier en congrès à Marseille, l’Union internationale de la conservation de la nature (UICN) a voté une motion en faveur d’un moratoire sur l’exploitation minière des fonds marins.
Au large de la Papouasie-Nouvelle-Guinée et des îles Cook, des tracteurs géants ont commencé à être immergés par une firme canadienne afin de « récolter » les nodules polymétalliques.
Trois universitaires américaines envisagent les conséquences de l’exploitation minière sous-marine dans une tribune parue en 2020 : « Le grattage et l’aspiration du fond marin peuvent détruire les habitats et libérer des panaches de sédiments qui recouvrent ou étouffent les espèces filtrantes et les poissons nageant dans la colonne d’eau. L’exploitation minière introduit également une pollution sonore, vibratoire et lumineuse dans une zone normalement silencieuse, immobile et sombre ».
La France veut explorer mais aussi « exploiter » avec une méthode offrant des garanties de conservation« Le projet Nautilus en Papouasie-Nouvelle-Guinée et ses excavations énormes, c’est l’inverse de ce qu’il faut faire », dénonce de son côté Francis Vallat, fondateur du Cluster maritime français (1). L’ONU a fait des grands fonds marins un « patrimoine commun de l’humanité ». La France n’a pas ratifié le moratoire de l’UICN.
Le président de la République lors de la présentation du plan d'investissement France 2030. (Photo by Ludovic MARIN / POOL / AFP)Francis Vallat le justifie : « « Je suis contre le moratoire sur l’exploration des grands fonds et la recherche. Il faut bien connaître les océans pour les protéger. Ne pas accepter l’exploration, c’est de l’obscurantisme ».
Lors de sa présentation du plan d’investissement France 2030, mardi, le président Emmanuel Macron a évoqué une stratégie d’« exploration et non d’exploitation » des fonds marins. Tout en revendiquant le besoin de sécuriser l’approvisionnement du pays en terres rares (contrôlées à 90 % par la Chine) et métaux.
En mai dernier, une circulaire de Jean Castex a défini une « stratégie nationale d’exploration et d’exploitation des ressources minérales dans les grands fonds marins ».
La France et son secteur maritime n’avancent pas masqués sur ce terrain miné, selon Francis Vallat. « Nous sommes pour un moratoire conditionnel sur l’exploitation. Il faut une transparence et un contrôle absolus, avec une gouvernance ouverte à laquelle participeraient les ONG ».
« La France a proposé une méthode pour exploiter, approuvée par les Allemands, qui est de travailler en cliquets. On a identifié dix phases, on ne doit pouvoir passer à la suivante que si l’on sait qu’on n’abîme pas l’environnement. Sinon, on arrête ».
Ce responsable d’ONG (SOS Méditerranée, Le Septième continent) est convaincu que la croissance démographique ne laisse pas le choix : « On fait tout ce qu’on peut pour avoir une croissance raisonnable mais il y a des besoins qui vont s’accroître ». En grattant le fond des océans, c’est sûr, on sera à l’os. Le dérangement pourrait devenir saccage. « Si l’océan est malade, on est morts », avertit Francis Vallat.
Julien Rapegno(1) Le Cluster maritime français regroupe plus de 400 acteurs économiques et centres de recherches. Francis Vallat a par ailleurs coécrit Notre avenir s’écrit dans l’océan avec Isabelle Autissier (Bayard.2021)