Les négociateurs de la gendarmerie forment les élus contre les incivilités en Corrèze
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À la fois représentants de l’État et proches de la population, les élus de proximité sont de plus en plus exposés aux incivilités de leurs administrés. Un phénomène qui n'épargne pas la Corrèze. La gendarmerie propose des formations pour aider les élus à gérer ces agressions. Nous en avons suivi une.
L’administré, excédé par les aboiements du chien de son voisin, pénètre dans le bureau du maire pour lui exprimer tout son mécontentement. « Combien de temps cela va-t-il encore durer ? Moi, je me lève à 5 heures tous les matins ! Si ça continue, je vais sortir le fusil ! », se plaint-il, en colère, avant de sommer l’élu de trouver une solution. « Asseyez-vous, asseyez-vous », lui répond l’élu en tentant d’apaiser la situation.
Les gens ne se parlent plusCette scène aurait pu se dérouler dans la mairie d’une petite commune de Corrèze. Mais ce jeudi, elle avait lieu à la compagnie de gendarmerie de Brive, où une formation sur la gestion des incivilités, destinée aux élus, était dispensée. La sixième depuis le mois de septembre. Jean-Louis Lascaux, maire d’Allassac qui jouait son propre rôle dans cette scène improvisée, débriefe : « J’ai eu un cas similaire où le plaignant voulait que j’intervienne, mais sans dire qu’il était à l’origine de la plainte. Le problème est que les gens ne se parlent plus. Nous sommes parfois les derniers acteurs pour créer du lien entre les habitants », regrette le maire.
« Dans cette démonstration, vous avez plusieurs fois répété à la personne de s’asseoir, reprend Manon, co-animatrice de cette journée. Cela peut passer pour un ordre. Dans ce type de situation un mot, une phrase peut aggraver une situation. Vous auriez pu dire par exemple “Je vous propose que nous nous asseyons pour en discuter”. » La nuance, presque contre-nature, est de taille pour l’interlocuteur.
« Un mot, une phrase peut aggraver une situation »Un négociateur de la gendarmerie livre ses conseils à un élu. Photo Stéphanie Para.Cette action de sensibilisation, menée par la gendarmerie de la Corrèze, a vocation à donner aux élus ces connaissances, ces nuances qui font toute la différence. Pendant plusieurs mois, des sessions vont avoir lieu à Tulle, Brive et Ussel, pour les élus volontaires. Ce jour-là, à Brive, Arnaud, membre du PSIG, et Manon, gendarme à Saint-Privat, coaniment la journée. Ces deux formateurs sont surtout ici en qualité des négociateurs de la gendarmerie, habitués des opérations délicates. « Les maires et élus sont amenés à gérer des conflits de voisinage, des conflits. La gestuelle, la voix, peuvent aider à désamorcer une situation. Après, quand il y a des personnes alcoolisées, sous l’empire de produits stupéfiants, ou dans un état psychologique anormal, la priorité de l’élu est de se mettre en sécurité avec son personnel et d’appeler les forces de l’ordre », insiste Manon.
Comprendre l'homme en colèrePour le reste, les conseils des négociateurs se résument en un verbe : « s’oublier ». « Il faut essayer de comprendre celui qui est en face, “sa carte du monde”. Quel est sa culture, son vécu, son regard sur le problème ? Cela va en déterminer sa perception. Ce qui va paraître anodin pour vous est peut-être la goutte de trop pour lui », explique Arnaud à la quinzaine d’élus dans la salle.
Lors de cette crise, l’individu en colère passera par différentes phases, au cours desquelles les élus devront adapter leur discours. Dans sa « phase d’alarme », la colère de l’agresseur va augmenter jusquà atteindre un plateau. « C’est une phase intense, mais épuisante, où il est inutile d’apporter des réponses, car la personne ne va pas les entendre. C’est le moment de l’écoute. Il faut poser des questions ouvertes, inciter la personne à verbaliser, avec une voix calme, montrer un acquiescement, un intérêt », explique Arnaud.
Une écoute active« Une personne en colère est une personne qui n’a jamais été écoutée comme il faut », ajoute Manon la négociatrice.
L’objectif de « cette écoute active » est de gagner du temps avant d’instaurer un rapport de confiance, pour pouvoir ensuite influencer la personne et la faire sortir de cette phase passionnelle. « Une personne entendue va se sentir valorisée. Mais attention, ces situations tendues peuvent basculer très vite. Il faudra alors repasser par toutes les phases décrites jusque-là », précise Arnaud.Les négociateurs partagent leur expérience pour calmer les personnes virulentes. Photo Stéphanie Para.
Une crise du respect de la fonctionLe langage corporel a aussi toute son importance : se mettre au même niveau de la personne, adapter sa posture, trouver une bonne distance, ne pas avoir de regard fuyant, ni insistant, privilégier un lieu neutre pour discuter, cibler une personne si l’on se retrouve face à un groupe. Le succès d’une discussion musclée est dans les détails physiques, dans l’équilibre. « Dans ce genre de configuration, il y a un non-respect de l’autorité. Vous êtes, comme nous, un représentant de l’état et vous pouvez être pris pour cible à cet égard », rappelle le négociateur-formateur.
Selon le ressenti des élus présents, la crise du respect de la fonction n’en est malheureusement qu’à ses débuts, et le phénomène a connu une accélération depuis la crise sanitaire. Mais le phénomène reste difficilement quantifiable, car ces agressions donnent rarement lieu à des procédures.
Pierre Vignaud