Qui est vraiment Frédéric Gervoson, le très secret patron d'Andros ? Réponses avec ceux qui le connaissent
Paris, La Défense Arena, le 5 juin 2021. Dernière journée de Top 14 entre le Racing et le CAB. Pour l’occasion, le président francilien Jacky Lorenzetti a organisé, avec son homologue briviste Simon Gillham, un cocktail d’avant-match avec plusieurs grands chefs d’entreprise français.
Parmi eux, un certain Frédéric Gervoson qui, en tant que partenaire commun, aurait dû prendre la parole. Le PDG d’Andros a finalement délégué à un certain… François Hollande. Par pudeur, dit-on. Mais aussi par conviction personnelle, car le chef d’entreprise n’est pas du style à aimer la lumière. Il préfère charbonner à l’arrière du front.
« Il n’est pas forcément à l’aise avec les mondanités »« Il n’est pas forcément à l’aise avec les mondanités. Il ne se met jamais en avant. En fait, il s’efface derrière son entreprise », confie l’ancien président de la République. Frédéric Gervoson ne parle pas. Encore moins à la presse. Quand on demande une interview à son staff, on est reçu avec un éclat de rire.
Frédéric Gervoson, à gauche, et Max Mamers se sont rencontré il y a plus de trente ans, à l'époque des rallyes automobiles
« Ça m’emmerde », avait même lancé le grand patron à une équipe de Capital venue à Biars en 2017. « Ici, ce n’est pas un zoo?! » Ici, c’est le siège d’un mastodonte : une trentaine d’usines dans quinze pays différents, un chiffre d’affaires estimé à 2,2 milliards d’euros - « estimé » car l’entreprise ne publie pas ses comptes - et des milliers d’emplois pour le nord du Lot, le sud de la Corrèze et au-delà. Le tout appartenant encore à une seule famille.
« C’est le dernier fleuron d’un capitalisme rural. Regardez Bizac, Ponthier, Allard… Ils ont tous vendu et ont fait beaucoup d’argent. Lui, a choisi de continuer », analyse un fin observateur de la vie économique corrézienne. Continuer pour créer un empire. À sa manière.
"Discret", "pudique"François Hollande estime que Frédéric Gervoson « est discret, sans doute pudique, parce qu’il défend l’idée qu’il n’est pas dans le système. Contrairement à beaucoup de patrons de son niveau, il n’a pas de coach en communication, par exemple. »
Certains de ses proches, que nous avons contactés, l’ont tout de même appelé pour savoir s’ils pouvaient nous répondre. Il leur a demandé de ne pas le faire.
Pourtant, ceux qui l’ont vu reprendre l’entreprise familiale en 2000 pour en faire un géant de l’industrie agroalimentaire le disent : « C’est une bête de boulot, lance Max Mamers, un ami de trente ans. Quand il a pris la suite de son papa, il arrivait à l’usine à 4 heures du matin. Il a très vite compris qu’il avait hérité de quelque chose de bien, mais a su comment faire pour la développer. Sans ne jamais perdre de vue l’aspect famille au sein de l’entreprise. »
Une bête de boulot reconnue par tousC’est d’ailleurs sa famille et notamment son père, Jean, qui lui ont donné le goût du travail. « Il a transmis à Frédéric et à ses frères le sens de l’entreprise », glisse l’éditeur Jean Brousse, dont la maison au Lonzac est mitoyenne de celle de la famille Gervoson.
L'ancrage local est une notion essentielle pour le chef d'entreprise
Très attaché à Biars, le PDG a aussi un pied ancré en Corrèze. « Brive, c’est la ville où il a fait ses études, confie François Hollande. Son projet d’y monter une usine vient de déboucher, mais cela a pris des années. C’est quelqu’un d’exigeant et c’était sa manière de dire : “si vous me voulez, il faut me mériter”».
Andros va en effet investir 10 millions d’euros pour ouvrir dès mai 2022 une « usine test » de « première transformation du fruit » sur l’ancien site d’Euralis, vide depuis février 2019. Et même pour annoncer cette opération, Frédéric Gervoson n’est pas sorti de son silence. Il a laissé le soin au maire de Brive, Frédéric Soulier, de le faire à sa place.
Il a sans doute usé de la même méthode il y a vingt ans quand Pierrot Gourmand s’est installé à Altillac près de Beaulieu-sur-Dordogne. C’est d’ailleurs de là qu’est née son amitié avec François Hollande.
« Quand j’étais président du conseil général de la Corrèze, il avait mené un combat pour raccorder Biars à la D820. Il avait aussi longtemps milité pour que Biars intègre la communauté de communes de Beaulieu. C’est un homme qui a une grande intelligence des territoires, pour lui il n’y a pas de frontière entre le nord du Lot et la Corrèze. »
En 2020, Andros n’a pas, non plus, hésité à fournir du matériel, notamment des blouses pour accompagner l’hôpital ou encore le Département à lutter contre le Covid 19. « Frédéric Gervoson a aussi permis de consolider plusieurs centaines d’emplois en Corrèze dans des entreprises qui en avaient besoin et qui ne sont pourtant pas forcément dans l’agroalimentaire », confie Pascal Coste, président du conseil départemental.
Des estimations indiquent que près de 2.000 Corréziens vivent grâce aux activités d’Andros. Une usine où visiblement, il fait bon travailler. Même la CGT décrit dans Les Echos, « un dialogue social plutôt bon ». Pour Frédéric Gervoson, « c’est primordial de sentir ses salariés heureux et épanouis », note Max Mamers.
Un rapport presque amical avec ses employésFrançois Hollande va même jusqu’à décrire Andros comme « une entreprise sociale. Je comprends que son personnel soit reconnaissant de l’état d’esprit qui y règne. C’est plus que du paternalisme, Frédéric Gervoson a un rapport presque amical avec ses employés, il les a parfois connus à l’école. »
Même ses anciens collaborateurs lui restent fidèles, comme Arnaud Rapp, directeur de l’usine Pierrot Gourmand, à Altillac de 2011 à 2014. Le dirigeant a quitté Andros en mars 2019 pour d’autres horizons, mais n’a toutefois pas souhaité répondre à nos questions « par loyauté ».
Jacky Lorenzetti qui l’a connu dans les années 1980, lorsque les deux chefs d’entreprise se tiraient la bourre sur les rallyes automobiles, le décrit comme « un patron hors pair et singulier parce qu’il ne passe pas son temps à regarder son bilan comptable. Il ne travaille pas pour l’argent, mais pour ses clients. Pour leur satisfaction, mais aussi le bien-être de ses salariés ».
Challenge classe les familles Chapoulart et Gervoson, propriétaires d’Andros, à la 77e place des plus grandes fortunes de France en 2021 (1.300 millions d’euros). « La maison de Frédéric Gervoson est chaleureuse et confortable, mais rien à voir avec les villas de luxe des PDG du CAC 40 », fait toutefois remarquer François Hollande pour signifier que le grand patron a su rester simple.
Attachant, sincère et fidèleUne image non feinte selon nos interlocuteurs. « C’est quelqu’un de très attachant, de sincère, même s’il est parfois paradoxal : il est ancré dans son terrain et il est à la tête d’une entreprise mondiale. C’est quelqu’un de très fidèle. Il est aussi sensible aux marques de loyauté qu’on lui renvoie. »
La loyauté, une qualité souvent avancée par ses proches. « Quand je l’ai appelé pour certaines choses, il a toujours été là », se souvient Jean Brousse. Et ses amis le lui rendent bien.
« Un jour, avant sa mort, son papa Jean m’a confié qu’il était très fier de son fils. Mais je pense que ça, il ne lui a jamais dit », indique, non sans une certaine émotion, Max Mamers qui voit en son ami « le frère (qu’il) n’a jamais eu. »
Émilie Auffret, Tanguy Ollivier et Benjamin Pommier