Pourquoi les violences liées au trafic de drogue explosent à Marseille
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Quatre jours après la mort d’un adolescent de 14 ans, les exécutions se poursuivent à Marseille, où trois hommes ont perdu la vie ce week-end. La police judiciaire a recensé depuis le début de l’année quinze décès en lien avec les trafics de stupéfiants.
Hassen Hammou voudrait en avoir fini. Avec ces corps carbonisés retrouvés dans les coffres des voitures et ces familles endeuillées, inconsolables à jamais. Mais dans sa ville de Marseille, rien ne change vraiment, au contraire. « En 2016, j’ai créé le collectif Trop jeune pour mourir, car un ami de la famille avait déjà été victime de la technique du “barbecue” (NDLR, mode opératoire qui consiste à enfermer une personne dans le coffre d’une voiture à laquelle on met le feu). Aujourd’hui, c’est pire : il y a des personnes capables d’enlever des personnes en pleine rue avant de faire ça », raconte le Marseillais.
Quinze décèsPour « faire prendre conscience aux autorités de ce qui se passe », le militant a posté sur Twitter dans la nuit de dimanche à lundi une vidéo glaçante « envoyée par un jeune » montrant l’enlèvement de l’homme de 27 ans. Probablement le même découvert, quelques heures plus tard, brûlé dans le coffre d’une automobile.
— Hassen Hammou (@HammouHassen) August 22, 2021Les exécutions continuent à Marseille. Dans la nuit de samedi à dimanche, trois hommes ont été retrouvés morts, criblés de balles ou calciné pour l’un d’eux. Un bilan qui allonge encore la liste des victimes probables de la lutte pour les territoires du trafic de drogue. Hassen Hammou soupire. « C’est triste, mais on s’aperçoit que notre collectif n’a jamais aussi bien porté son nom ». Avec une délégation de jeunes, de mères de famille, il sera reçu en septembre par le préfet de région. « On va demander des moyens, car on a l’impression que l’État a abdiqué face aux dealers. »
L'impact des confinements sur le traficPolicier à Marseille depuis 2005 et secrétaire départemental Unsa police, Ludovic Lancesseur voit dans cette flambée de violences « le résultat des trafics de stupéfiants et de la guerre entre quartiers pour essayer de récupérer le trafic. Avec la crise du Covid-19 et les confinements, les réseaux ont sans doute perdu beaucoup d’argent, ce qui a engendré des dettes. Avec la propagation des armes, les règlements se font à coups de feu. »
Ces trois nouveaux morts surviennent quelques jours après une fusillade qui avait coûté la vie à un adolescent de 14 ans et blessé son ami du même âge. Le constat s’impose : les victimes des violences liées au trafic de drogue se font de plus en plus jeunes. « Ils sont recrutés via les réseaux sociaux et viennent de partout. C’est pourquoi on a aujourd’hui des choufs (NDLR, guetteurs) de 12-13 ans », indique Salim Grabsi, du Syndicat des quartiers populaires de Marseille, qui dit avoir vu une « cassure apparaître vers 2008-2009 quand les réseaux (de deal) ont commencé à faire travailler des jeunes de moins de 18 ans. »
L’implication de mineurs dans les trafics rend encore plus difficile le travail des policiers. « Vous avez des jeunes multirécidivistes, avec des antécédents, et qui, parce qu’ils sont mineurs, se retrouvent très vite dans la rue, libres, après avoir été arrêtés, indique Ludovic Lancesseur. Les têtes de réseau savent bien que les mineurs de moins de 16 ans n’auront pas les mêmes sanctions qu’un majeur et ils en usent… »
Habitants à boutDans les cités, les habitants se sentent pris en otage. « Aujourd’hui, tout le monde veut quitter les cités?!, assure Salim Grabsi. À partir du moment où vous interférez dans le trafic, les dealers viennent vous voir et disent : “Tu m’as fait perdre 1.000 euros”. Ils reçoivent d’abord un avertissement : “Tu ne le fais plus, tu n’appelles plus les pompiers”. Et les gens rasent les murs ; c'est un couvre-feu qui ne dit pas son nom. »
Selon Hassen Hammou, cette flambée de violences serait - aussi - le résultat d’un abandon progressif des quartiers nord par la République. « Les dealers se sont rendus compte que l’État n’était plus assez dans ces cités?; ils se sont engouffrés dans la brèche, ont organisé des matchs de foot, pris en charge les mineurs dans les cités. Aujourd’hui, ce sont eux qui incarnent l’autorité. » Le maire socialiste de Marseille, Benoit Payan, a demandé hier à ce que « l’État crée un parquet spécial à Marseille pour lutter contre les trafics de drogues ».
Nicolas Faucon