Miyazaki à Aubusson (Creuse) : encore huit mois de travail pour les lissiers
![Miyazaki à Aubusson (Creuse) : encore huit mois de travail pour les lissiers](http://www.lamontagne.fr/photoSRC/VVZTJ19dUTgIDAVOBQwd/marie-et-patrick-guillot-travail-du-lissier-sur-princesse-mo_5452436.jpeg)
Ils sont au métier soixante heures par semaine. Et le travail, commencé en mars, ne sera fini qu’en début d’année prochaine. Patrick, Marie et Luc Guillot tissent actuellement la première tapisserie de la tenture Miyazaki à Aubusson. Un travail titanesque dont ils ne verront le résultat qu’à la tombée de métier.
« Pour nous lissiers, quand on passe la moitié, on dit qu’on prend la descente. On connaît alors les couleurs, ça devient un automatisme. » Et la descente, Patrick Guillot en est tout près. Trois mois et demi après avoir entamé ce travail titanesque par le montage de la chaîne de coton. Une première étape qui avait déjà pris une semaine pour installer ces fils servant de chaîne à la trame. Chaîne sous laquelle est alors glissé le carton.
Un travail d’orfèvre débuté en mars« On appuie sur la pédale pour séparer les fils impairs des fils pairs, on passe la flûte et on tasse. » On tasse avec les doigts ou « avec le grattoir pour les parties plus importantes, quand c’est trop long pour les doigts ».
Et on recommence… presque indéfiniment. Sans rien voir de son travail durant des mois et des mois. Pour le novice, la tâche paraît ardue, presque ingrate : des gestes répétitifs des heures durant, chaque jour sur des mois et des mois sans ne voir rien d’autre que l’envers de son travail.
« Mais c’est ça la tapisserie d’Aubusson. Sur un métier de basse lisse, on travaille à l’envers. Souvent, les lissiers glissent une glace sous le métier pour voir l’avancée de leur travail. Moi, je le vois à l’envers. »
Car l’homme a l’œil et ces mains qui semblent survoler la tapisserie connaissent la chanson. Comme ces pieds qui enchaînent les pressions sur les pédales. Un travail d’orfèvre, une gestuelle au-delà de l’artisanal : plus de 45 ans que Patrick Guillot est dans le métier. C’est de famille. « Mon arrière-grand-père était lissier, ma grand-mère. Puis moi. » Avec aujourd’hui son épouse, Marie et leur fils Luc. Tous les trois travaillent depuis mars au tissage de la première tapisserie Miyazaki. Une œuvre gigantesque de plus de 20 m2 qui prend peu à peu vie et couleurs dans cet atelier au dernier étage de la Cité de la tapisserie. Rien que la dimension déjà donne une idée du défi à relever.
Et c’est bien ce qui motive Patrick. « On a déjà travaillé des pièces très surprenantes par leur taille comme La Piéta, Peau de licorne… Ce sont de bonnes dimensions. Nous, on aime bien. »
Soixante heures par semaine sur un métier de huit mètres de longSur le métier de huit mètres de long, mis à disposition par la Cité, le trio familial travaille sans se gêner du coude. Grattoir, ciseaux et peigne à portée de main. Chacun sur sa partie. « Dès qu’on a fait 25 centimètres, on enroule la partie tissée et on continue. On prend aussi une photo à chaque partie terminée ». Depuis début mars, Patrick, Marie et Luc sont à l’œuvre soixante heures par semaine. « On travaille parfois le soir, souligne Marie. Au début, on travaillait même le samedi. » « Parce qu’on a aussi des commandes à réaliser dans notre atelier, enchaîne Patrick. Et ce n’est pas évident de travailler sur plusieurs tapisseries en même temps : on est imprégné de chacune alors il ne faut pas perdre le fil. »
Ne pas perdre le fil : l’enjeu est d’autant plus important que, sur cette œuvre-là, le carton n’est déjà pas numéroté (à chaque numéro correspondant une couleur de laine) : « Le coloris, c’est une interprétation, précise le maître-lissier. On insiste au niveau des foncés. On exagère aussi la gamme des clairs. On suit les indications de la cartonnière… ou pas ».
Un travail d'autant plus complexe que les trois lissiers à l’œuvre utilisent « la technique de la multiple texture. On utilise des laines différentes pour aller plus vite mais aussi pour apporter plus de contraste. On n’utilisera pas la même pour les écorces que pour le feuillage par exemple. Pour celui-ci, il faut qu’elle soit beaucoup plus fine. Pour la mousse, on prendra de la laine bouclette. On triche en fait pour donner ce travail de creux et de bosses ».
Miyazaki de fil en fil à Aubusson (Creuse) : dans les coulisses de l'atelier de teinture
Ce qui rajoute encore de la complexité, toutes les laines n’étant pas aussi « faciles » les unes que les autres à manier. Ainsi « le fil de lin est plus difficile à utiliser, il ne glisse pas pareil ».
Il faudra attendre la tombée de métier en début d'année prochaine pour voir le résultatBref, la tâche n’est pas seulement longue. Elle est ardue. À ce défi déjà impressionnant à relever s’ajoute une autre pression : le nom de l’artiste. Tisser Miyazaki, ça ne rajoute pas un stress supplémentaire?? Patrick Guillot sourit. Le maître lissier a déjà signé quatre tapisseries de la tenture Tolkien. Du stress, s’il y en a eu, c’était surtout en attendant l’attribution de la commande : « C’est une compétition alors on travaille tous le mieux possible au niveau de l’échantillon pour être retenu ».
Quant au résultat final, Patrick, Marie et Luc sont sans doute aussi impatients que tout le monde de le voir enfin. Avec une petite appréhension en plus pour eux : « À la tombée de métier, on craint toujours un peu que la tapisserie ne corresponde pas tout à fait à ce qu’on voulait faire ». Mais il faudra attendre février ou mars prochain pour voir cette œuvre extraite de Princesse Mononoké, déjà réservée pour de grands événements...
Texte : Séverine Perrier Photos : Floris Bressy