La renaissance du château médiéval de Tournoël (Puy-de-Dôme) : un coup de foudre et vingt ans de travaux
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À Volvic (Puy-de-Dôme), le château de Tournoël doit sa restauration à l’amour d’un homme pour l’histoire et le patrimoine, Claude Aguttes. En vingt ans, il a redonné un toit et une vie à cette demeure vieille de dix siècles, choisissant les meilleurs artisans et matériaux pour que tout donne l’illusion d’être d’époque.
Sur son compte Twitter, Claude Aguttes indique être né en 1448. Passionné de l’époque médiévale, ce commissaire-priseur y consacre une bibliothèque longue de 6 kilomètres. Alors, quand il visite le château de Tournoël pour la première fois, en 2000, il est saisi. "Je me suis dit que c’était un château de princesses et de chevaliers", plaisante-t-il, non sans une pointe de vérité. La bâtisse, classée aux Monuments historiques, est entretenue par ses propriétaires, mais c’est une ruine. Pourtant, l’érudit s’imagine déjà vivre en ces lieux. Il l’achète en un week-end, sur un coup de cœur.
Vingt ans de travauxÀ Tournoël, pas de pont-levis, ni de douves à traverser pour entrer dans le château-fort. Il suffit de grimper. L’édifice est construit sur un éperon rocheux à 594 mètres d’altitude, ce qui offre une vue imprenable sur la Limagne, le Forez et le Livradois et permet de repérer tout ennemi en approche. Une protection tout de même un peu illusoire à en croire les nombreux impacts de tirs dans la tour du château et sur le donjon. "Tournoël a connu cinq sièges, dont un par Philippe Auguste, en 1210. C’est cette conquête qui a fait basculer l’Auvergne en France", précise Claude Aguttes.
À l’intérieur, le temps semble s’être arrêté en 1500. Et pourtant, tout a en réalité été reconstruit ces vingt dernières années, sous l’impulsion du commissaire-priseur. La bâtisse, dont les parties les plus anciennes ont été construites à l’An Mil, n’avait plus ni toit, ni sol, ni fenêtres et des arbres s’étaient invités à l’intérieur. "L’eau rentrait dans les murs et faisait sauter les joints", se souvient son propriétaire.
Un décor d'époqueLa restauration a d’ailleurs commencé par le toit, grâce à des aides du ministère de la Culture, de la Région, du Département et de l’Europe. Puis, les travaux se sont enchaînés avec un mot d’ordre : faire comme si tout datait du XVIe siècle en utilisant les mêmes matériaux - tomettes en terre cuite et pierres pour le sol, enduits à la chaux aérienne sur les murs.
"Tout n’a pas toujours été facile, notamment parce qu’il faut l’accord des Architectes des bâtiments de France pour tout. Et puis monter des matériaux là-haut coûte cher. Quand je fais de la peinture, je dois faire appel à des peintres spécialisés dans les décors de monuments historiques, donc je les fais venir de loin… Tout est plus compliqué quand on restaure un bâtiment historique."
La partie qui a le plus passionné notre historien est sans nul doute la décoration. Sur les murs, Claude Aguttes s’est amusé à raconter des histoires sur les tapisseries. Dans la chambre du châtelain, il présente plusieurs armures de chevaliers et explique aux visiteurs l’histoire des armoiries. Il a également représenté les blasons de toutes les familles ayant vécu à Tournoël, en n’omettant pas d’ajouter le sien. Et à l’étage, s’il a tenu à se faire une chambre "confortable", le propriétaire des lieux a pris le soin d’installer un cuveau de bois pour prendre son bain comme les chevaliers.
"Je passe ma vie à regarder des journaux, catalogues et reportages sur les objets dans le cadre de mon métier, ça aide", sourit-il. Et quand sa femme lui fait remarquer que la peinture s’effrite par endroits, il répond simplement que c’est fait "exprès", pour donner l’illusion de l’âge.
Le trésor du château : les archivesAu printemps 2020, Claude Aguttes a également passé beaucoup de temps à trier et classer les archives du château. Une tâche "passionnante", qui lui a permis d’en découvrir encore davantage sur sa propriété.
"Je connais son histoire comme ma poche et savoir qu’untel a fait ça à tel endroit et qu’untel a vécu ici me touche. Et puis, ici, on est au-dessus du monde. On se sent comme un enfant dans une cabane, en sécurité. Tout ce qui se passe en bas nous passe au-dessus."
Un seul problème persiste : la situation géographique du château. Des vents contraires se croisent à Tournoël, rendant le lieu invivable une bonne partie de l’année. "Il faut être fou pour supporter l’ambiance, souffle Claude Aguttes. C’est d’ailleurs pour cela qu’il avait été abandonné en 1700."
Pourtant, grâce à la passion et au dévouement de Claude Aguttes, le château de Tournoël écrit un nouveau chapitre de son histoire, celui de lieu culturel incontournable en Auvergne, classé deux-étoiles au Guide Vert de Michelin. En effet, tous les étés, le commissaire-priseur organise des visites historiques inoubliables de la demeure.
Remettre Tournoël "sur son rocher"Alors, si tous ces travaux ont un coût, celui de "plusieurs années de privation de vacances", le propriétaire continue de voir grand pour Tournoël. Son nouveau rêve, de taille, est de recréer une butte autour de son château pour que celui-ci soit de nouveau "sur son rocher", tel qu’il l’était au Moyen-Âge. Un chantier pour lequel Claude Aguttes se fait conseiller par un archéologue en châteaux médiévaux, Christian Corvisier, et pour lequel il espère avoir l’aval de la mairie de Volvic et des architectes des Bâtiments de France.
Les visiteurs emprunteraient alors la porte primitive, construite en 1400 et il ne manquerait plus que les travaux du donjon que le décor soit totalement restauré.
Claude Aguttes, ses œuvres, sa vie
Originaire de Bourges, Claude Aguttes est un commissaire-priseur à la réputation mondiale. Sa société de ventes aux enchères est la plus grosse maison indépendante de France. Une réussite qu’il ne doit qu’à lui-même et à sa passion pour l’histoire des objets.
Une vie de passionClaude Aguttes n’a que 14 ans quand il perd son papa. Il se retrouve alors seul avec sa mère, qui l’emmène régulièrement à la salle des ventes de Bourges. Le jeune homme se passionne alors pour l’histoire et plus particulièrement celle des objets. À 17 ans, il achète son premier "trésor", une carapace de tortue. S’ensuivent des bouts de météorites, coquillages et autres objets de curiosité en tous genres. Au fil de ses achats, l’érudit découvre le métier de commissaire-priseur.
Il n’a pas le bac, mais il a l’œil et la détermination. À 21 ans, il obtient un stage à l’hôtel Drouot, à Paris. Quatre ans plus tard, il est nommé commissaire-priseur à Clermont-Ferrand et l’année suivante, il fonde sa propre société de ventes aux enchères, avant de partir à Paris en 1995. Aguttes est désormais la quatrième maison de ventes de France. Des petits bibelots, le passionné se met à collectionner les bâtiments classés : les châteaux de Tournoël et de la Prune-au-Pot, dans le Berry, ainsi que la gare des Brotteaux à Lyon.
Je n’ai peur de rien dans la vie. J’ai démarré avec un Solex et si j’ai réussi c’est parce que je suis passionné et généreux.
Du haut de ses 73 ans, Claude Aguttes œuvre désormais à transmettre sa passion à ses six fils, dont trois travaillent à ses côtés et à ses 30 petits-enfants, mais également aux étudiants des plus prestigieuses écoles, telles que l’ENA et Sciences Po.
Texte : Jeanne Le Borgne Photos : Franck Boileau