Comment deux résidents d'Ehpad décédés en Creuse ont pu être positifs au Covid-19 alors qu'ils étaient vaccinés ?
Cluster, le mot avait presque disparu de la Creuse. Il reprend une actualité brûlante avec ceux qui ont éclaté au lycée agricole d’Ahun, avec un enseignant positif et six adultes en formation positifs. Et surtout l’Ehpad du bois-Joli à Auzances.
« On ne meurt pas d’une maladie dont on ne manifeste pas les symptômes »Là, ce sont trois résidents qui sont décédés après avoir été testés positifs au virus, les obsèques de l’un d’entre eux se dérouleront aujourd’hui. Le plus surprenant, c’est que deux de ces résidents avaient été vaccinés, avec les deux doses.
L’Agence régionale de santé (ARS) a lancé une enquête sur ces cas qui, s’ils révèlent une infection au virus, n’impute pas ces décès au Covid-19 : « Il faut savoir que ce sont des personnes très âgées, au-delà de 90 ans, analyse le Docteur Emmanuel Bahans, médecin-conseil à l’ARS. Certaines souffrant de polypathologies. Elles ont été testées et sont parfois décédées dès le lendemain. En étant asymptomatiques. Pas de rhino-pharyngite, de pneumopathie ou de détresse respiratoire sévère qui sont les signes du coronavirus. On ne meurt pas d’une maladie dont on ne manifeste pas les symptômes »
« Le décès de ces personnes est un drame pour leur entourage, mais le virus ne nous paraît pas en être à l’origine ».
Mais comment une maladie a pu atteindre des personnes vaccinées ? « L’efficacité du vaccin est connue, rappelle le Dr. Bahans, elle se situe entre 85 et 90 %, il reste donc toujours une marge d’infection pour les 10 ou 15 % restants. Ceux que l’on sait, c’est que pour cette fraction, les formes seront cependant moins sévères. Mais je le redis, ces formes n’ont pas été constatées sur les résidents décédés à Auzances ».
Un cluster découvert fin mars avec le cas symptomatique d’une agent de l’Ehpad L’âge très avancé des résidents, Françoise Simon, la maire d’Auzances et présidente du Conseil d’administration de l’Ehpad, le confirme : « C’est une particularité de cet Ehpad d’accueillir des personnes très âgées. Et très faibles ».
Ce virus, comment a-t-il pu rentrer au Bois-Joli ? « C’est suite au cas symptomatique d’une agent – sûrement suite à une contamination familiale – qu’on a lancé un dépistage des résidents et du personnel, détaille le médecin-conseil. C’est ainsi qu’on a découvert le cluster fin mars. Je pense que nous sommes arrivés au début de l’épidémie dans l’établissement ».
Au dernier dépistage, 38 cas positifs dont 24 résidents et 14 salariés dans cet Ehpad qui compte 95 employés pour 69 pensionnaires. Un effectif de résidents diminué, l’établissement pouvant accueillir 90 aînés. Mais des travaux sont en cours et des chambres ont été fermées pour permettre d’achever le chantier. Peut-être la chance de l’établissement dans sa malchance.
Le virus n’a pas débordéParmi les personnes infectées, deux résidents sont hospitalisés en réanimation dont un dans un état préoccupant, et dix autres ont été transférés à l’hôpital d’Évaux-les-Bains. Parfois avec des personnels d’Auzances afin qu’ils ne se sentent pas perdus.
Ni à Auzances ni à Ahun, le virus ne semble avoir débordé les murs des établissements où il a été repéré.
Et le sort qui frappe Auzances est d’autant plus cruel pour sa maire, Françoise Simon, que la commune et son Ehpad avait plutôt bien échappé à l’épidémie. Quand les autres établissements en Creuse étaient frappés, le Bois-Joli n’avait jamais enregistré de cas de Covid jusque-là.
Cruel pour le personnel, notamment, estime Valérie Simonet. La présidente du Département, élue du secteur, avait renfilé sa blouse d’infirmières pour venir donner un coup de main pendant une journée, en fin d’année dernière, au Bois-Joli : « J’ai vu un personnel très impliqué, très au fait des mesures de précaution, des bons gestes, c’est terrible ce qui leur arrive ».
Françoise Simon, de son côté, va demander à la préfecture d’organiser une opération “coup de poing” de vaccinations massives sans rendez-vous, à Auzances le plus rapidement possible afin de confiner le virus.
Les clusters expliquent l’explosion statistique du Covid en CreuseMais la révélation de ces deux clusters vient aussi expliquer l’étrange situation statistique de la Creuse : depuis début avril, le taux d’incidence a explosé, passant de 60-70 cas positifs pour 100.000 habitants à près de 189 aujourd’hui.
Avec une présence à près de 100 % des variants (68 % pour l’anglais et 30 % pour le sud-africain et/ou brésilien). Les clusters sont, en effet, venus bousculer la loi des « petits chiffres » propre à la Creuse, ou quelques cas peuvent faire varier terriblement les pourcentages.
Ainsi, il y a eu entre le 12 et 18 avril, 3.545 tests effectués en Creuse. Et 154 se sont révélés positifs. Dont une grosse part ont été fournis par les clusters d’Auzances et d’Ahun, des variants anglais et sud-africains et brésiliens. D’où l’explosion de l’incidence et de la présence des variants affichées par les données de Santé publique France.
« Les deux clusters sont désormais sous contrôle, les gens sont pris en charge, isolés, donc les tests vont révéler de moins en moins de positivité et les chiffres vont redescendre. C’est exactement ce qu’a connu la Dordogne qui a vécu une situation similaire il y a quelques semaines ».
Ainsi, malgré la virulence statistique, le service de réanimation de Guéret ne connaît pas la saturation : « Ils sont très occupés, mais pas saturés », annonce le médecin-conseil de l’ARS dont l’agence va désormais séquencer les prélèvements pour identifier plus précisément ces variants. Sud-africains ? Brésiliens ? Anglais ? Avec même l’espoir d’identifier par où ils sont venus jusqu’en Creuse.
Éric Donzé