La fabrique des couleurs perdure depuis 111 ans à Joigny (Yonne), plébiscitée par des peintres du monde entier
Depuis sa création en 1910, la manufacture Leroux propose des peintures de qualité supérieure utilisées dans le monde entier. Aujourd’hui installée à Joigny (Yonne), Marcel Reynaud y fait perdurer une tradition familiale et un savoir-faire exceptionnel par amour de la matière.
Des toiles accrochées un peu partout aux côtés de nuanciers. Des centaines et des centaines de tubes rangés dans les étagères. Et l’ambiance d’un atelier d’artistes. Quand on franchit la porte de la boutique des Couleurs Leroux, à Joigny, on comprend immédiatement que ce lieu recèle un savoir-faire traditionnel.
Ce n’est qu’après avoir traversé l’arrière de la boutique, au fond d’une petite cour, que se trouve la manufacture. Dans ce bâtiment, les machines-outils sont vieilles de cinquante ans. Des dizaines de bidons contiennent des pigments d’une incroyable richesse. Un lieu chargé d’histoire où l’on produit des peintures d’une qualité extra-fine, prisées par des grands maîtres du monde entier.
Des couleurs plébiscitées par Salvador DaliL’histoire de la manufacture Leroux débute en 1910, à Hautmont (Nord). Martial Leroux est alors peintre en bâtiment et décide de monter une fabrique de peintures à l’huile pour son activité. Baigné depuis tout petit dans le milieu de l’art, il développe petit à petit des peintures à destination des artistes. Salvador Dali sera, entre autres, l’un de ses clients.
Les pigments utilisés dans la manufacture viennent du monde entier.
"C’est ma belle étoile qui m’a amené à devenir propriétaire de cette manufacture." À la tête de cette petite entreprise depuis 1997, Marcel Reynaud se dit très chanceux de connaître un tel parcours de vie. Adolescent, il utilisait les couleurs de la manufacture Leroux.
"Je suis persuadé que ce qui fait l’art, c’est l’esprit lié à la matière. La belle matière, authentique, fait que l’affectif, l’émotion persistera davantage sur une toile."
En 1996, alors qu’il mène "une vie de bohème", il se rend à l’atelier Leroux pour tenter d’échanger ses toiles contre des tubes de peinture. L’entreprise est alors dirigée par Bruno Laporte, mari de la petite-fille de Martial Leroux. Ancien chef d’une entreprise de 12.500 salariés, il avait repris l’affaire familiale et l’avait délocalisée au moulin de Villiers-sur-Tholon (Yonne).
"En arrivant sur place, j’apprends que l’entreprise est à vendre, raconte Marcel Reynaud. Convaincu de la qualité et du charme de la manufacture, j’ai proposé de la racheter. Bruno Laporte était persuadé qu’il fallait un praticien plutôt qu’un gestionnaire pour assurer la transmission et préserver les savoir-faire." Celui qui est alors sans le sou se démène auprès des banques pour réaliser son rêve, et achète la manufacture à la fin de l’année 1997.
Le savoir-faire de l’entreprise se transmet depuis 111 ans.
Entre-temps, il se rend deux jours par semaine dans l’entreprise pour apprendre toutes les techniques. "Si jamais il arrivait quelque chose à la collaboratrice, c’est tout un savoir-faire qui aurait pu disparaître", raconte-t-il. Marcel Reynaud doit alors se familiariser avec les recettes propres à chacun des 115 pigments utilisés dans sa manufacture. "Ma collaboratrice a eu un accident de voiture qui l’a empêché de travailler, se remémore Marcel Reynaud. Ce qu’on faisait avec elle en une journée, je le faisais en dix jours, malgré l’aide d’une deuxième personne…" Finalement, à force de persévérance, le chef d’entreprise prend le coup de main et parvient à trouver son rythme, pour maintenir l’entreprise à flot.
"Grâce à la manufacture, j’ai pu connaître de grands peintres"En 2010, il déménage l’entreprise dans de nouveaux locaux à Joigny, toujours dans l’Yonne. "Depuis, que je suis arrivé, je n’ai rien changé à ce qui était déjà en place", assure Marcel Reynaud. En proposant des tubes d’une qualité extra-fine, avec parfois une pigmentation à 100 %, les couleurs Leroux se vendent dans le monde entier. "On ne travaille qu’en vente directe depuis 111 ans, ce qui nous permet de rester compétitifs par rapport à des grossistes", détaille le patron. Il y a quelques jours, il faisait partir deux palettes à destination de Casablanca (Maroc) pour la rénovation d’un monument historique.
Les peintures extra-fines ont une pigmentation de 100 %.
Marcel Reynaud savoure en tout cas les opportunités que lui a offertes cette reconversion. "À 16 ans et demi, je n’avais pas pu intégrer les Beaux-Arts à Lyon car on estimait que j’étais trop inculte, à juste titre, se souvient-il. Grâce à la manufacture, j’ai pu connaître de grands peintres qui s’y approvisionnent. Et la découverte continue."
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Pas affectée par la crise sanitaire due au Covid-19, son entreprise envisage, dans les prochains mois, un réaménagement de l’espace vente pour proposer une nouvelle gamme, d’aquarelle cette fois. Elle devrait lui permettre de toucher un nouveau public tout en conservant le maître mot qui a fait sa réputation : la qualité de la matière.
Textes : Antoine Compigne Photos : Marion Boisjot Follow @an_compigne
Pigments. La manufacture travaille avec 115 pigments différents pour réaliser ses peintures. "Chaque pigment possède sa propre recette, explique Marcel Reynaud. La quantité d’huile utilisée, le temps de mélange, la pression dans la broyeuse sont différents." Les temps de préparation fluctuent selon les recettes, mais il faut compter environ 45 minutes pour obtenir des peintures.