Suicides dans l'agriculture : comment mieux détecter et prendre en charge la détresse des exploitants ?
Près de deux suicides d’agriculteurs par jour en France. Durant plus d’un an, deux sénateurs ont enquêté sur le burn-out, le surendettement et la souffrance générée par l’agribashing. Ils veulent réformer et coordonner des dispositifs d’accompagnement plutôt brouillons.
Au bout du fil, il y a des psychologues cliniciens. Les agriculteurs sont plus de 4.000 à composer le numéro d’Agri’écoute chaque année. Dans le cadre de leur rapport parlementaire, Françoise Férat (Marne- Union centriste) et Henri Cabanel (Hérault-Groupe RDSE), ont tenté d’évaluer l’efficacité de la plateforme téléphonique nationale mise en place par la MSA.
« En 2020, 43 % des appels à Agri’écoute faisaient état d’idées suicidaires et 83 % des appels n’ont débouché sur aucune solution de suivi », pointe le rapport. Qui relève aussi des mises en attente interminables et dissuasives et la non-prise en compte de l’alerte des proches.
Deux fois plus de suicides chezs les éleveurs bovins viande que dans la population généraleFrançoise Férat parle d’une « pluralité de causes » pour expliquer la surmortalité par suicide dans l’agriculture. La dernière enquête de la MSA avance le chiffre de « 605 suicides en 2015 ». Il y a 20 % de suicides en plus chez les agriculteurs que dans la population générale : proportion qui atteint 51 % chez les éleveurs bovins lait et… 127 % chez les éleveurs bovins viande ! Nourrie de plus de 150 témoignages, l’enquête de terrain identifie deux causes majeures de détresse : « Le revenu et l’agribashing », énonce Françoise Férat.
photo:DGoberot
Un agriculteur sur cinq n’a pas de revenu ou est déficitaire, neuf sur dix travaillent le week-end : « ils sacrifient tout à leur métier : loisirs, famille, santé », constate Henri Cabanel. En 2019, Le film Au nom de la terre d’Édouard Bergeon a participé à « briser le tabou du suicide, dans un monde de taiseux ».
Edouard Bergeon Au nom de la terreCe film évoque avec réalisme « la course à l’endettement et à l’agrandissement », ainsi que les pressions liées à la « transmission et à l’héritage ».À ces tracas s’ajoutent la perte de sens et l’injustice ressentie par des professionnels accusés, parfois par leurs voisins, d’être des » pollueurs, maltraitants avec les animaux, destructeurs de paysages ».
Le rapport, approuvé mercredi à l’unanimité en commission des Affaires économiques au Sénat doit inspirer une proposition de loi portée par une « obligation légale de porter secours aux personnes en danger », justifie Henri Cabanel.
Moins de « paperasse » et plus d’humainLes dispositifs d’aides et d’accompagnement existent mais les deux sénateurs ont relevé un manque de coordination voire des blocages : « les agriculteurs hésitent à aller chercher du soutien auprès de la MSA, leur principal créancier ».C’est naturellement à la prévention, la détection du stress et donc du risque, qu’incite le rapport. Avec un mot d’ordre : « humaniser ». En finir notamment « avec les courriers recommandés non accompagnés d’un appel téléphonique » et, globalement, soulager l’exploitant de la « paperasse ».
Solidarité Paysans, association Loire
Les sénateurs veulent donner un rôle pivot aux cellules d’accompagnement des agriculteurs en difficulté, instituées en 2017 dans les préfectures, mais qui sont « focalisées sur les symptômes économiques.
« Il faut un guichet unique mais aussi un nom, un visage, un référent départemental ».
Pointées aussi, les « conditions d’éligibilité trop restrictives » de l’AREA (Aide à la relance des exploitations agricoles).
Henri Cabanel propose que « les procédures de redressement soient suivies par le tribunal de commerce et non au tribunal judiciaire, ce qui constitue une humiliation supplémentaire ». Certaines des quelque soixante mesures s’intéressent à l’accompagnement à la reconversion ou à celui des proches de victimes.
Françoise Ferat et Henri Cabanel veulent faire tracter leur train de mesures par un puissant moteur politique : « Redonner le moral à nos agriculteurs doit être une grande cause nationale. Il faut leur dire qu’on les aime ».
Julien Rapegno