La station de ski du Lioran (Cantal) à l'heure du couvre-feu
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Avec le couvre-feu et la fermeture des restaurants, le rythme a totalement changé quand arrive le soir à la station du Lioran. Comme tout le monde, les vacanciers doivent se cloîtrer dans les logements qu’ils louent. Mais difficile pour certains de se résigner à rentrer à 18 heures pile, alors que la lumière du jour s’éternise...
Un goûter frugal de gaufres et de boissons chaudes, improvisé dans un petit coin de la prairie des Sagnes, à l’écart de la foule encore nombreuse, tandis que le couvre-feu va entrer en vigueur dans quinze minutes. Ces Bretons prennent le temps de déguster chaque bouchée, comme chaque gorgée. « On est à deux minutes trente de l’appartement », justifient, en riant, Isabelle et Ronan, accompagnés de leurs deux garçons, Titouan et Armel.La famille savoure l’instant, les vacances à la montagne lui ayant permis d’oublier un peu le contexte. « C’est impressionnant ce qu’on nous a fait subir depuis un an », soulignent les parents. Alors ce n’est pas un couvre-feu qui va ternir leur séjour dans le Cantal. Ni l’absence de remontées mécaniques d’ailleurs. À la place du ski de descente, la famille, qui venait pour la cinquième fois au Lioran, a testé de nouvelles activités, bien plus que de coutume. « Le porte-monnaie en a pris un coup… », assure Titouan qui, à 12 ans, expose déjà un avis éclairé sur la crise sanitaire.
« C’est comme ça tous les soirs ! »Le goûter commence à disparaître, englouti dans le petit creux créé par cet après-midi de sports d’hiver. Parents et enfants ne sont toujours pas pressés de rentrer malgré les dix minutes qui les séparent de l’heure butoir. Néanmoins, ils obtempèrent de bon cœur. Et pour cause ! « On a une bonne excuse pour sortir après 18 heures », blaguent-ils, tandis que tous les regards se retournent vers Olympe, le chien.
Ils ne sont pas les seuls à profiter des derniers instants de liberté jusqu’aux dernières secondes. « C’est comme ça tous les soirs ! », font-ils remarquer. Autour, les vacanciers sirotent un verre le long des bars, tandis que d’autres traînent sur la neige sans se soucier de la montre.Posé devant le panneau des pistes de la station, un autre couple de Bretons étudie toutes celles qu’il aurait pu dévaler, si elles avaient été ouvertes. 17 h 59 : « Dans une minute, on est hors la loi », sourient Léna et Alexis, rattrapés par ce temps qui file à vive allure.
Mais ils logent à deux pas de là. « C’est frustrant de rentrer. Surtout qu’il fait encore jour ! » D’ordinaire, le couple et leur fille Maëlys, qui vivent dans le Finistère, privilégient les vacances d’hiver dans les Pyrénées. Avec la mise en place du couvre-feu, ils ont trouvé plus sûr de s’arrêter au Lioran.Charmée par le lieu, la famille promet de revenir une année plus normale. En attendant, elle s’organise. « De toute façon, on le savait. Et puis, la soirée passe vite, surtout avec un petit bout. On se couche plus tôt, d’autant que la journée en montagne fatigue bien. Du coup, on se lève plus tôt pour en profiter plus », confie le couple, qui rentre partager un petit apéro sur le balcon.
Le temps de l'effervescenceL’apéro ! Il leur semble loin le temps où les vacanciers s’attablaient autour de crêpes après la dernière descente, et les travailleurs de la station s’attardaient devant un verre, après le boulot. « De 18 heures à 19 h 30, il y avait un petit rush », se souviennent Johanne et Pierre, dans un haussement d’épaules nostalgique. Il y avait aussi l’effervescence de la nocturne du jeudi et le feu d’artifice qui drainaient du monde sur la terrasse du Rond-Point…Là, les deux gérants de ce bar-restaurant ont déjà baissé le rideau et, avec leurs saisonniers, s’attachent à remettre de l’ordre. Colère, incompréhension, sentiment d’injustice… Johanne et Pierre sont passés par tous les stades. « C’est compliqué, mais ça l’est encore plus pour les confrères qui n’ont pu ouvrir depuis des mois. »
Ces vacanciers qui restent fidèles à la station du Lioran (Cantal)
« Ce n'est pas notre métier »Alors que la saison se termine, les deux commerçants ressentent aussi de la frustration. « Notre métier, c’est faire du commerce, d’avoir un maximum de monde chez nous. Là, on a passé notre temps à faire le gendarme. À l’approche du couvre-feu, on est là à dire, “on ne peut pas vous resservir” ; “dépêchez-vous, il faut partir”… Il fallait empêcher que les gens stagnent sur la terrasse… Certains comprennent, d’autres, pas. C’est difficile. Ce n’est pas notre métier », confie Johanne, désolée de la situation.À l’extérieur, la prairie des Sagnes s’est presque vidée. La pendule affiche 18 h 20, et des rires d’enfants sur une luge qui dévale le bas de la piste familiale. Venant du Maine-et-Loire, Florence et Pierre-Antoine grappillent quelques minutes, en plein air. « Avec quatre enfants de 9, 7, 5 et 2 ans, on fait vite le tour de l’appartement qui est petit », plaident les parents. Une fois rentrée, la famille entame la même soirée que tous les soirs : « On se change, on mange plus tôt, ils prennent leur douche, et on se couche tôt », détaillent-ils, avant de se résigner à rentrer.Au loin, deux silhouettes, précédées de deux chiens, approchent. Les dernières âmes qui vivent, dehors. Accompagnée d'une amie, Sylvie revient de son petit tour du soir. « Après avoir passé 9 heures dans une boutique de 15 m2, à vendre quatre bijoux, avec le masque toute la journée. Ça fait du bien ! » Ce soir-là, elle en avait plus besoin qu’un autre. Un peu plus tôt, elle a craqué. La crise sanitaire, les conséquences sur son commerce, l’impression de ne pas voir le bout de ce tunnel… « Je déprime un peu », souffle-t-elle. Ce petit tour, « pour le chien », qui dure trois quarts d’heure, c’est son oxygène.
A 18 h 30, le Lioran est maintenant plongé dans le silence. Un autre manège commence alors aux façades des logements, où il n’y a jamais eu autant de monde aux balcons, à cette heure de la soirée.Photos Jérémie FulleringerChemcha Rabhi