À Limoges, la chanteuse lyrique Eve Christophe donne un nouveau souffle aux plus jeunes et aux plus fragiles
À Limoges en Haute-Vienne, la soprano Eve Christophe fait du chant lyrique un moyen d’épanouissement personnel. Elle a inventé une méthode pour l’amener à ceux qui en sont éloignés, afin qu’ils trouvent leur voix. Leur voie ? Ce sont des épreuves qui l’ont amenée à s’investir auprès des autres.
« Je voulais devenir clown », rit Eve Christophe. À la voir si menue, pétillante, pleine de vitalité, clown, on y croit.
« Je tannais mes parents. J’étais décidée à les quitter pour faire l’école d’Annie Fratellini », sourit-elle. Mais voilà, Eve Christophe avait alors six ans... N’ayant nulle envie de voir leur petite fille quitter Le Mans (Sarthe) où la famille vivait, ses parents l’orientèrent habilement, lui disant : « Un clown doit savoir tout faire. »
« Je voulais être clown, quitter ma famille pour faire l'école Annie-Fratellini et devenir clown. Mais, voilà, j'avais six ans... »
Elle interprète une multiplicité de rôles, rôle-titre dans Madame Butterfly, Miss Rose dans Lakmé, l'enfant dans L’Enfant et les Sortilèges, en passant par Barberine ou Suzanne dans Les Noces de Figaro. Et tant d’autres !
À 22 ans, elle s’est déjà beaucoup produite sur scène. Elle a aussi une petite fille d’un an. « Une enfant singulière », confie-t-elle. « À 4 ans, elle lisait mais elle était dans sa bulle, très difficile à percer. Nous multiplions les examens médicaux, en vain. Alors j’ai commencé à faire des recherches pour trouver des moyens d’échanger avec elle car il a fallu attendre ses 8 ans pour qu’elle soit diagnostiquée autiste asperger. »
Je me suis aperçue que ma petite fille était fascinée par la voix. À 3 ans, elle pouvait rester assise pendant des heures à suivre une répétition d'opéra.
La jeune femme s’intéresse à toutes sortes de techniques, relaxation méditation ou encore la méthode Tomatis, qui stimule par la musique et la voix. En fonction des exigences de sa carrière, elle emmène la fillette partout. « Je me suis aperçue que ma petite était fascinée par la voix, la musique, le chant. À 3 ans, elle restait toute calme à suivre et écouter des répétitions d’opéra pendant des heures, alors qu’à d’autres moments, la vie était bien compliquée pour elle. »
Constitution d'une boîte à outils et création d'une méthodeQuand l’enfant est scolarisée, tout en poursuivant sa carrière de soliste, Eve Christophe approfondit ses recherches. Elle a bientôt un deuxième enfant. Elle choisit un suivi en chant prénatal. Elle découvre la psychophonie. Cette méthode thérapeutique reconnue par l’Académie des Sciences établit une correspondance entre les sons de la voix humaine et le corps.
En quelques années, Eve Christophe s’est construit une boîte à outils qui lui permet de mettre au point une méthode qu’elle baptise Mémorisation Sonore Corporelle. Elle favorise le travail vocal grâce au mouvement, la couleur et les images mentale et autres techniques. Eve Christophe inscrit bientôt une démarche de transmission dans sa carrière en créant Burdigala Canto en 2008 à Bordeaux.
Le chant dès deux ans, c'est possible car les tout petits sont sur l'élan vital.
Cette académie vocale s’adresse à des scolaires dès 2 ans. « Transmettre le chant aux tout-petits est possible car ils sont sur l’élan vital. » Ses projets pédagogiques et lyriques se multiplient. Mais, en 2012, Eve Christophe doit les interrompre. Elle est frappée par la maladie. Il est fort probable qu’elle ne puisse jamais rechanter. « Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que vous rechantiez », lui promet sa chirurgienne.
Carrière brutalement interrompue par la maladieAprès les feux de la rampe, le bonheur de la scène, la soprano est confrontée à la souffrance physique et morale, la solitude, la perspective d’un avenir incertain. Avec les soignants, elle finit par remporter le combat contre la maladie. Pourra-t-elle rechanter ? La chirurgienne est parvenue à en préserver la possibilité. Mais Eve Christophe va devoir se battre pour y parvenir.
« La voix est une façon de s'honorer »
Depuis longtemps à ses yeux, la voix n’est plus seulement un moyen de briller sur scène. À la suite des épreuves, elle veut davantage encore mettre son travail, son art, au service des autres, de leur développement, de leur épanouissement personnel.
« La voix est une façon de s’honorer. » Tel est aujourd’hui le credo qui guide sa vie et son travail qui, de fait, remet en cause la façon dont est conçu l’enseignement dans notre société. À contre-courant des méthodes favorisant la performance pour elle-même dans une culture anxiogène de la compétition, la sienne est fondée sur une transmission qui prend en compte la globalité de la personne. « La voix passe par le corps, l’émotion, l’introspection. »
Elle apprend aux enfants du projet Opéra Kids que le chant engage toute la personnalité, corps, émotion, sensibilité, introspection (photo d'archives)
En 2015, l’Opéra de Limoges s’intéresse au travail qu’elle réalise avec Burdigala Canto. Il invite bientôt des Limougeauds à bénéficier de ce concept de transmission original. C’est ainsi que naissent les projets Opéra Kids pour les enfants puis Un Chant une Chance pour des adultes en parcours d’insertion (voir encadrés ci-dessous).
« Ma fille m'a donné naissance, une deuxième naissance »
Un Chant Une Chance
Une vingtaine d’adultes en parcours d’insertion professionnelle ont rejoint le projet Un chant une Chance.Dominique : « Avec bienveillance, Eve nous pousse à nous exprimer, nous dépasser. On explore ce que l’on est, on se remet en question. L’idée, c’est d’évoluer. Un beau challenge. On apprend à rester positif », confie Dominique.Bérengère : « J’avais un gros besoin de reprendre confiance en moi. Eve nous y amène. Je me dis : oui, je suis capable de faire des choses. Il y a aussi la respiration, la relaxation, très importantes pour moi. Tout cela m’aide à m’aimer. L’intérêt, c’est aussi de rencontrer les autres même si c’est par Zoom en ce moment.En effet, dans le contexte de crise sanitaire, les deux projets se poursuivent via le logiciel de visiophonie Zoom.
Muriel Mingau