À Argentenay dans l'Yonne, des sculptures végétales poussent dans la forêt
Au départ, c’était une histoire plutôt mal partie ! En 2013, quand Alain Bresson a créé sa première sculpture végétale dans la forêt communale de Gland, cela a suscité la polémique dans ce minuscule village de l’Yonne (45 habitants au dernier recensement). Pourtant la sculpture se fondait si bien dans son environnement, que L’Yonne républicaine, en légende de la photo, attribuera la création aux caprices de la nature. Accusé de mutiler les arbres, l’artiste se retrouve même devant le tribunal qui classera l’affaire sans suite !
La Bourgogne, aujourd'hui un des hauts lieux du land artLe jour où il apprend que la télé doit venir faire un reportage sur cette affaire digne de Clochemerle, Alain Bresson préfère sacrifier ce premier Géant vert (le nom que lui a donné le journal). "Je ne voulais pas qu’on parle de moi dans la rubrique des faits divers. Je préfère qu’on parle de moi pour mes œuvres !", explique le sculpteur qui, depuis, a vu son souhait exaucé bien des fois. Car à quelques kilomètres de chez lui, dans la forêt d’Argentenay, il a pu réaliser non pas une, mais une dizaine de sculptures qui font aujourd’hui de la Bourgogne un des hauts lieux du land art.
J’ai toujours fait ça. Un musicien fait des gammes, moi je fais des sculptures avec tout ce que je trouve.
Dans une pétition de soutien, la maire d’Argentenay, village voisin de Gland, avait invité le sculpteur à venir dans sa forêt. Alain Bresson, un an plus tard, en allant y couper du bois, tombe nez à nez sur deux arbres "faits pour lui". Comme la fois précédente, d’instinct, il se met aussitôt au travail : "J’ai toujours fait ça quand je me promène. Un musicien fait des gammes, moi je fais des sculptures avec tout ce que je trouve. Souvent rien que pour moi."
Lorsque le vent souffle dans les branches, les sculptures s’animent. En fonction de la météo, des saisons, de la lumière mais aussi du temps qui passe et de la pousse des arbres et des buissons, les œuvres ne sont jamais les mêmes. L’expression "sculpture vivante" est à prendre au sens littéral. (Photo Alain Bresson)
L’artiste des bois (sa compagne s’amuse à dire qu’il vivrait perché dans un arbre s’il le pouvait) ne peut résister à la plaisanterie quand il croise la maire, Catherine Corbet-Tronel : "J’ai fait une sculpture, ne m’envoie pas au tribunal !" Bien au contraire, l’élue va l’encourager à récidiver. Le Géant vert II est inauguré en grande pompe en 2014. De nombreux élus sont là, qui mettent des photos sur leurs blogs. "Le week-end d’après, beaucoup de gens ont téléphoné à la mairie pour savoir où était la sculpture car il n’y avait aucun fléchage", se souvient le sculpteur, surpris, lors de l’été suivant, par le nombre de voitures stationnées à l’entrée de la forêt. Les Géants verts sont en marche et plus rien ne va les arrêter.
En fait, je pense être le seul artiste à travailler sur du vivant. Je laisse faire la nature. Oui, on peut dire que je suis cocréateur avec elle !
L’hiver, dans son atelier, Alain Bresson réalise les sculptures avec le bois et la mousse qu’il a glanés dans la forêt. Et depuis peu, il a renoué avec la céramique, un art qui lui a valu la renommée et qu’il a abandonné voilà trente ans pour explorer de nouvelles voies, aller sans cesse vers ce qu’il ne connaît pas.
Ses poissons ou ses chevaux ont ainsi des têtes d’argile plus expressives. Quand les beaux jours reviennent, avant que trop de feuilles ne cachent l’architecture des arbres, il choisit le lieu où installer ses œuvres en fonction de la symétrie des branches et des troncs. La tronçonneuse est alors un de ses outils : "Suivant la hauteur où je taille les arbres, au fil des repousses et des saisons, les rejets vont se mêler à la sculpture. J’aime bien qu’il faille la distinguer dans la verdure et s’en approcher pour bien la voir. Cela apporte un mystère que j’aime. En fait, je pense être le seul artiste à travailler sur du vivant. Je laisse faire la nature. Oui, on peut dire que je suis cocréateur avec elle !"
Une nouvelle installation d’Alain Bresson dans la forêt des géants, à Argentenay
Mais, depuis 2017, le duo est devenu trio. La compagne d’Alain Bresson l’a rejoint dans l’aventure. Les deux artistes, tout comme leur travail, sont complémentaires. Marie-Laure Hergibo est aussi délicate et fine que ses œuvres tout en transparence et légèreté, tandis qu’Alain Bresson est plus rugueux et d’un humour mordant comme le bois brut de ses drôles de sculptures. La plasticienne a dû sortir du confort de son atelier pour affronter l’immensité de la forêt. "Il a fallu que je me confronte à la nature. Que je trouve des matériaux qui résistent au temps et que je travaille en très grand format." Ses plumes apportent un souffle de poésie aux créatures truculentes, débordantes de sève, de son compagnon.
L’Institutrice, les Amoureux, Le Drakkar, Garde à vous en joue...Au printemps, les chevaux, réalisés cet hiver, iront rejoindre sous la canopée L’Institutrice, les Amoureux, Le Drakkar, Garde à vous en joue… L’artiste mal compris est aujourd’hui soutenu par nombre d’instances publiques ou privées, notamment la DRAC et l’association l’Art des chênes.
L’ONF n’intervient plus que pour la sécurité sur les 20% des 50 hectares de bois communaux dévolus aux Géants verts. Suspendus depuis le Covid-19, les ateliers pour les scolaires ont fait découvrir le land art à 250 élèves. La forêt d’Argentenay ne cesse de gagner du terrain médiatique. La préservation de la nature, la communication avec les arbres sont dans l’air du temps et un article se prête à divers angles : artistique, touristique, environnemental. "Au début, on mettait en avant les Géants verts, mais depuis trois ou quatre ans les touristes en ont souvent déjà entendu parler et demandent comment y aller", raconte Rémé Chambrillon de l’office de tourisme de Tonnerre.
“Alors c’est ça l’art ? Eh bien je vais aller au musée.”"
Ces visiteurs sont davantage des promeneurs, des familles, que des habitués des galeries d’art. "Un jour j’ai rencontré un monsieur qui était maçon et n’avait jamais mis les pieds dans un musée. Il m’a demandé : “Alors c’est ça l’art? Eh bien je vais aller au musée.”", relate, non sans fierté, Alain Bresson. La fréquentation du site, accessible gratuitement tout le temps, est difficile à évaluer. Le sculpteur se base sur les voitures qu’il compte sur le parking. Autour de 2.500 personnes viendraient annuellement. Peut-être le double en cette crise sanitaire qui incite aux sorties en plein air.
Qui donc aurait pu s’attendre à un tel succès en cette contrée si éloignée ? Peut-être la maire qui, pour situer son village, précise maintenant qu’il abrite la Forêt des géants verts : "Je connais Alain depuis longtemps. Avec lui on peut s’attendre à tout, il a une telle imagination !".
Isabelle Gautierisabelle.gautier@centrefrance.com