Le mystère du treizième médaillon de l'abbatiale Saint-Austremoine d'Issoire (Puy-de-Dôme) enfin résolu ?
L’abbatiale Saint-Austremoine d'Issoire (Puy-de-Dôme) porte sur le chevet une série complète de signes zodiacaux sculptés. À ceci près qu’ici, ils sont au nombre de treize. Une singularité que nous explique Serge Métais, chercheur amateur éclairé.
On connaissait les trésors de l’abbatiale Saint-Austremoine, précieusement conservés dans la crypte. Voici une autre exclusivité de l’édifice roman peut-être méconnue du grand public. Et pourtant sous nos yeux. Sur le chevet, à bonne hauteur, les signes du zodiaque se succèdent un à un. Rien d’original. Sauf qu’ici, ils ne sont pas douze, mais treize. Un mystérieux médaillon sculpté représente un griffon tenant une proie dans ses serres. Que peut bien signifier cette allégorie??
Passionné d’histoire, l’universitaire et entrepreneur Serge Métais, aujourd’hui à la retraite, a consacré des recherches sur cette représentation de l’animal fantastique. Elles ont été publiées dans le dernier bulletin Historique et Scientifique de l’Auvergne "Le soleil dans le zodiaque du chevet de Saint-Austremoine d’Issoire". Passionnant.
Quelle est la particularité des représentations du zodiaque de l’abbatiale Saint-Austremoine??
« Les médaillons ont ceci de particulier qu’ils sont au nombre de treize. On y trouve bien les douze signes habituels. Mais ils sont précédés par un médaillon dont la signification n’a rien d’évidente : il figure un griffon sur une proie, vraisemblablement un mouton. »
Les douze signes du zodiaque, ici le Bélier et le Taureau. Est-ce rare d’observer ce type d’ornement sur le chevet?? « C’est tout à fait exceptionnel. Je n’en connais pas d’autre. »
Il existe donc un treizième signe du zodiaque?? « Pour comprendre de quoi il s’agit quand on parle des signes du zodiaque, il faut rappeler ce qu’est le zodiaque. Étymologiquement, c’est le “cercle des petits animaux” (zodiakos kiklos). Plus précisément, c’est la suite des constellations sur le fond desquelles semblent circuler le Soleil, la Lune et les planètes, durant l’année. Depuis des temps immémoriaux, on voyait, dans ces constellations, des figures animales. On vit, plus tard, d’autres figures comme les Gémeaux, la Vierge ou la Balance. Dans la suite des constellations du zodiaque, on distingue, au moins depuis l’Antiquité gréco-romaine, treize constellations : les douze bien connues, plus le Serpentaire. »
Le griffon avec le mouton, bas-relief sur le chevet.
Quelle est sa particularité?? « Après avoir quitté le Scorpion et avant d’entrer dans le Sagittaire, le Soleil “passe”, en effet, par le Serpentaire, durant une quinzaine de jours. Et si l’on ajoute deux constellations sur lesquelles semble parfois circuler la Lune, Orion et la Baleine, on arrive à quinze constellations dans le zodiaque. »
Pourquoi en retient-on habituellement seulement douze?? « C’est purement une affaire de convention. Douze à l’avantage d’être un diviseur très pratique dans une comptabilité en base soixante, “sexagésimale”, qui remonte au moins à la civilisation mésopotamienne. On s’est bien rendu compte, très tôt, que le nombre de jours entre deux équinoxes de printemps ne tombait pas juste à 360 jours. On devait en ajouter quelques-uns. Mais on a considéré la division de l’année en 12 mois d’une trentaine de jours chacun, comme très pratique. À la division de l’année en douze parts, on a donc associé douze constellations dans le zodiaque. »
Quelle est donc votre hypothèse sur l’origine d’un treizième signe zodiacal?? « Selon moi, le treizième médaillon n’est pas la représentation d’un treizième signe du zodiaque, ni d’une treizième constellation. »
De quoi s’agit-il alors?? « Le griffon, sur un animal que j’identifie à un mouton, symbolise le Soleil. La disposition du médaillon, juste avant le Bélier, soit entre les Poissons et le Bélier, marque le début du cycle annuel, l’arrivée du printemps. C’est-ce que l’on observait, il y a environ 2000 ans, et que l’on considérait encore comme vrai au temps où l’on bâtissait l’abbatiale. Notons que cette configuration est celle à laquelle se réfèrent, aujourd’hui encore, les astrologues. »
À quoi, ou plus précisément à qui, se réfère ici le griffon?? « Le griffon est une combinaison de lion et d’aigle. Il est donc le roi des animaux, sur terre et dans les airs. Il règne “sur la terre comme au ciel”… C’est une référence à l’ascension d’Alexandre tirée d’une histoire fabuleuse dans laquelle la geste d’Alexandre le Grand, ses exploits réels ou imaginaires, ont valeur de petits contes moraux. »
Le griffon avec le mouton fait le lien entre le Bélier et les Poissons.
À quel exploit magnifié faites-vous allusion?? « Rédigé d’abord en grec, à Alexandrie au début de l’ère chrétienne, cette histoire a été traduite et adaptée en langue romane au XIIe siècle. Elle est devenue le “Roman d’Alexandre” qui était, avec la Bible, le livre le plus lu et le plus répandu au Moyen-Âge. Il reprend des mythes très anciens et raconte qu’Alexandre, après avoir conquis le monde connu, aurait entrepris d’explorer le monde d’en bas et celui d’en haut. Il serait allé au fond des mers dans une sorte de tonneau géant en verre. Et il serait allé dans les airs sur un char attelé à deux griffons. On rapporte, dans le Roman d’Alexandre, que le griffon se nourrissait d’un mouton chaque jour. »
Alexandre le Grand était ici la personnification d’un dieu?? « Alexandre voulait explorer le ciel, circuler, comme le soleil, sur fond des constellations du zodiaque. Il se prenait lui-même pour Dieu en effet, pour le soleil. Il a cédé à l’hubris (orgueil, démesure, NDLR). Je crois que c’est à cette histoire, à ce conte moral, que fait référence le griffon sur le mouton. Il symbolise Dieu, le Soleil. »
L'abbatiale Saint-Austremoine et ses signes du zodiaque très rares en Auvergne. Vous êtes originaire du Poitou, cela vous a-t-il aidé à déchiffrer la signification du treizième médaillon?? « Les moines qui ont construit l’abbaye au Xe siècle étaient originaires de Charroux, en Poitou. L’abbatiale que nous connaissons a été construite plus tard, au XIIe siècle. Les bâtisseurs étaient-ils alors encore originaires du Poitou?? On ne peut que conjecturer. Ce que je peux dire, c’est que c’est effectivement en Poitou que j’ai trouvé l’inspiration pour avancer cette hypothèse. Nous avons, à Thouars, un chapiteau d’une église du XIIe siècle sur lequel est représentée l’ascension d’Alexandre.
Le Soleil dans le zodiaque du chevet de Saint-Austremoine d'Issoire
Ce chapiteau et de nombreux autres, à Moissac, Bordeaux, Toulouse, en Suisse ou en Italie, montrent la popularité du thème au temps où l’on bâtissait les églises romanes. A Issoire, le griffon sur son mouton du jour m’est apparu comme une référence évidente au Roman d’Alexandre. J’y vois le Soleil, Dieu, dont Alexandre, dans sa folie, se croyait l’égal… »
David Allignon