Laurent Tillon, l'homme qui parlait à Quercus, son ami le chêne, dans les Yvelines
Au matin du 1er janvier 2021, alors que le soleil se réveille doucement, pointant ses premiers rayons sur la mousse brillant sous l’effet de la rosée du matin, Laurent Tillon n’a qu’une envie : souhaiter la bonne année à Quercus (Quercus vient du celte kaer signifiant “beau” et de quez, “arbre”), nom qu’il a donné à l’un des chênes se dressant avec grâce dans un coin de la forêt de Rambouillet, dans les Yvelines.
Une courte balade à pied sur un chemin sableux pentu lui suffit pour se retrouver face au « maître » de ce royaume végétal et animal régnant sur diverses essences formant un sanctuaire prisé des sangliers comme des mulots, des chenilles comme des écureuils. Et plus précisément par Apodemus le Mulot, Tortrix la chenille, Dendroscopos le pic épeiche, Nemobius le grillon, Leccinum le bolet, Fagus le hêtre, Neuroterus la guêpe…
Laurent Lelache, biologiste devenu ébéniste d'art
Laurent Tillon a lui-même baptisé tous ces acteurs de ce grand spectacle vivant qu’il connaît comme la poche de sa veste d’ingénieur forestier, spécialiste en biodiversité à l’ONF.
Pour lui, la forêt, « ce n’est pas que des arbres, mais plein d’individus en interaction les uns avec les autres. Ce sont des personnes non humaines qui communiquent et interagissent entre elle ». C’est pour cette raison que Quercus est, semble-t-il, régulièrement en « conversation avec Fagus ». Fagus ? Bah oui, le hêtre tout proche du chêne.
"Je lui ai dit qu’il allait, sans doute, recevoir plus de visites que d’habitude"En ce 1er janvier 2021, arrivé au pied du tronc à l’écorce bien dentelé de Quercus, Laurent Tillon ne souhaite pas que la bonne année à son ami Quercus. « Je lui ai dit qu’il allait, sans doute, recevoir plus de visites que d’habitude. »
L’intéressé est en passe de connaître une certaine notoriété : le chêne âgé de 240 ans est le héros du nouvel ouvrage de son meilleur ami humain. Laurent Tillon a écrit un livre qui sort le 10 février, Être un chêne, sous l’écorce de Quercus (Acte Sud), révélant au grand jour sa relation forte et intime qu’il entretient avec lui depuis de longues années.
De jour comme de nuit, dans le froid hivernal ou la canicule estivale, cet homme, marié et père d’une fille, retrouve régulièrement son chêne, s’asseyant au pied de son tronc. De longues minutes, de longues heures parfois, pour, à chaque fois, un tête à tête particulier, ressourçant, épanouissant, dans la quiétude d’un sous-bois juste troublé par le frémissement du vent dans les feuillages.
Que l’on ne s’y trompe pas : Laurent Tillon ne pratique pas la sylvothérapie (relaxation au contact de l’arbre). Son approche est toute autre, plus intime. On pourrait presque parler d’une relation d‘amour, même si l’intéressé ne va pas jusque-là, parlant, malgré tout, « d’une interaction homme-arbre très forte. Un lien viscéral s’est tissé entre lui et moi. C’est aussi profond que l’amour, même si c’est drastiquement différent. Mais je n’ai pas peur de ça. Tout le monde peut se retrouver dans ma relation avec mon arbre ».
Ce coup de foudre remonte à l’âge des premiers émois, l’adolescence. Sa première rencontre avec le chêne de sa vie, il la doit… à la chaîne de son vélo qui a déraillé. Alors âgé de 15 ans, Laurent Tillon fait une balade avec des potes qui, partant de la vallée de l’Eure, à Nogent-le-Roi (Eure-et-Loir) le mène jusqu’à la forêt de Rambouillet, à la lisière d’étendues champêtres hérissées de quelques coquettes fermettes ou d’élégants haras.
Sa première rencontre sonne comme une révélationL’ado apprécie ce secteur « un peu magique » traversé d’un chemin sablonneux exigeant de donner de sérieux coups de pédales pour éviter l’enlisement. Pas de chance, Laurent se retrouve à la traîne, le « peloton de tête » étant parti plus loin.
Patatras, sa chaîne de vélo saute. Esseulé dans une clairière, il reste sous le charme des lieux en pleine renaissance en cette journée de printemps, émerveillé par le chant des oiseaux, la grandeur rassurante des arbres, en particulier ce chêne qui semble lui faire un clin d’œil, l’attire irrésistiblement. Cette « première fois » est suivie d’autres car l’ado, en plein questionnement sur son avenir, ressent « une sérénité à son contact. J’ai pris l’habitude de me poser à ses pieds, de me caler dans son tronc et d’y ressentir l’énergie qui en émanait, une véritable attraction, un bien-être ».
"Plein de choses entre lui et moi"Depuis cette première fois, rien ne sera plus comme avant pour le jeune Laurent Tillon qui, avec Quercus, a trouvé un ami, un confident : « Je lui ai tout raconté, je pense qu’il sait beaucoup de choses. Il a, peut-être, compris des choses sur moi que je n’ai pas encore décrypté. » Laurent Tillon lui raconte « plein de choses restant entre lui et moi ».
Il n’hésite pas à dire que « l’arbre lui parle. Je ne peux pas dire qu’en me posant à son pied, j’entends des mots dans ma tête. C’est plus fin que ça. Quand je me cale contre lui, je vois apparaître des petits signes de la nature et de Quercus lui-même. À travers son architecture, son houppier, j’arrive à comprendre ce qu’il lui arrive »
Quercus est lié à sa carrière professionnelle. « Cela a été un élément fondamental dans mon engagement à l’ONF. En venant ici régulièrement, observer la biodiversité, ma fibre pour l’environnement s’est développée. Venir ici, dans le royaume de Quercus, m’a appris plein de choses, une culture s’est forgée au fur et à mesure. À chaque fois, je repartais apaisé, avec l’impression d’avoir gagné quelque chose. J’étais mieux dans mes baskets, plus enraciné… Cet arbre-là m’a invité à une réflexion sur mon avenir. »
Calé contre l’arbre, j’ai alors vu arriver un écureuil tout près de moi, puis un chevreuil. Très tranquille, il me regarde. Et des oiseaux sortent d’un trou d’arbre… "Toutes ces apparitions simultanées, c’était improbable?! " Photo Olivier Bohin
Son choix pour l’ONF n’a pas coulé de source pour autant et a suscité en lui maintes interrogations. Et c’est Quercus qui aurait mis fin à ses doutes. L’ingénieur révèle une scène capitale pour son destin :
"Ce jour-là, cela n’allait pas fort. Je me posais des tas de questions sur moi-même. Calé contre l’arbre, j’ai alors vu arriver un écureuil tout près de moi, puis un chevreuil. Très tranquille, il me regarde. Et des oiseaux sortent d’un trou d’arbre… Toutes ces apparitions simultanées, c’était improbable?!"
Laurent Tillon a le net sentiment "qu’un message m’était délivré par la nature. Que je ne me trompais pas dans mon engagement à l’ONF"
Laurent Tillon et ses proches vivent dans une maison située dans la rue menant à ce sacré chêne… « Du coup, on lui rend visite tous ensemble ». « Quand on a acquis la maison, ma femme est tombée enceinte. Hasard ou une coïncidence, c’est surtout un beau symbole au moment où je m’installais près de lui. Quercus fait partie intégrante de la famille, je ne peux pas dire qu’il est le petit dernier. Pour le coup, il nous précède bien. »
Dans son livre, Laurent Tillon a mis des illustrations qu'il a lui-même dessiné, comme ici le gland symbolisant Quercus bébé... Document Laurent Tillon.
Quercus le gland a failli mourir dévoré...L’ingénieur a calculé que son chêne a 240 ans. Il est donc né un peu avant la Révolution française, « une époque où il y avait trois fois moins de forêts qu’aujourd’hui ». Et la forêt de Rambouillet « n’était qu’une lande sableuse avec des pins, de la bruyère, quelques gros chênes… »
Quercus a bien failli ne jamais voir le jour, n’étant, à l’origine, qu’un gland à la merci de la gourmandise d’un cochon ou d’un mulot.
Tombé de « l’arbre parent », dans l’attente d’être dévoré, il aurait été oublié, « coincé dans la ronce », selon Laurent Tillon. Il imagine qu’un agriculteur a supprimé la ronce pour donner de la lumière à « Quercus le gland » et lui permettre de croître. Le double centenaire devrait vivre encore plusieurs siècles, bien plus que son ami humain. « En forêt, la mort n’est pas une fin en soi et fait partie de l’éco système. »
Laurent Tillon retient la leçon, ayant beaucoup appris sur lui-même avec Quercus « et la finitude des choses. On ne lutte pas contre des rites biologiques immuables qui ont généré la vie depuis toujours. Il faut apprendre à vivre avec ce qui nous entoure et l’ordre normal des choses. »
Être un chêne, sous l’écorce de Quercus. Laurent Tillon (Acte Sud). Prix : 22 €.
Extrait. Le livre Être un chêne, sous l’écorce de Quercus (Acte Sud) ne se limite pas au récit d’une relation forte et étonnante entre Laurent Tillon et un chêne sessile. « Je raconte qu’il s’est passé des choses entre lui et moi. Mais mon ouvrage est là aussi pour mieux comprendre la nature qui nous entoure. Quand vous vous posez au pied d’un arbre, chacun entend et voit des choses différentes : le chant d’un oiseau, le bruit du vent dans les arbres, le son lointain d’un avion, …. Moi, je vois un système naturel très complexe que l’on a parfois du mal à comprendre mais que l’on pourrait s’inspirer pour changer drastiquement de logiciel sociétal pour l’humanité. Je voulais faire comprendre le fait que tout est lié dans la nature. Quoi qu’on veule, on est lié à des interactions complexes. On n’est pas obligé de toutes les connaître.» Son seul souhait est « de faire prendre conscience de la fragilité du système, sa résilience et de la possibilité de mieux nous réinscrire dans notre environnement. »
Olivier Bohin