De l'Yonne au Portugal, ils font grandir leur marque de vêtements en coton bio
En 2014, Manon Frottier s’est lancée dans la conception de vêtements pour bébés, dans l’intimité de son salon. Depuis, elle développe l’aventure "Poudre Organic" avec son conjoint, Quentin. Jusqu’à faire le pari de quitter l’Yonne et vivre un an au Portugal, près de l’atelier de production.
Il est loin, le temps où Manon griffonnait la petite blouse pour bébé "toute simple, avec deux boutons", avec laquelle tout a commencé. Loin de plusieurs années, de plusieurs centaines de kilomètres aussi, depuis que toute la famille, originaire de l’Yonne, s’est installée au Portugal en août dernier. À quelques kilomètres des ateliers où sont désormais fabriqués les linges, accessoires et vêtements marqués "Poudre Organic"; tous issus de l’agriculture biologique.
À Porto, ils vivent dans un quartier "un peu à part". Qui continue de vivre malgré le reconfinement de la population, la fermeture des bars, des restaurants, "qui font presque tous de la vente à emporter", ou qui, étouffés par la crise, "ont carrément définitivement fermé."
Dans la vieille ville, "où le tourisme avait explosé ces dernières années", ils découvrent des rues désertes. Tissent tout de même des liens avec les locaux "qui retrouvent la ville telle qu’ils la connaissent". Typique. Authentique. "Ce n’est peut-être pas la meilleure année pour se lancer dans cette aventure." Quoiqu’à bien y réfléchir, ils l’ont tout de même trouvée, cette douceur de vivre.
"Miser sur des matières naturelles, à prix juste"Deux ou trois fois par semaine contre quatre ou cinq par ans jusqu’alors, ils se rendent dans l’atelier où une vingtaine de paires de mains assemble les matières qu’ils choisissent, font tisser puis teindre. "On a développé beaucoup plus de choses en étant sur place", constate l’Icaunaise.
Linge de maison, mailles et vêtements sont fabriqués au Portugal dans des matières issues de l'agriculture biologique. Photo Jeremie Fulleringer
Notamment une collection "capsule" homewear ; influencée par l’évolution soudaine d’un quotidien où le salon devient, un peu contraint, l’endroit où l’on se retrouve à faire des réunions. "J’avais déjà l’idée en tête mais le contexte l’a accélérée." D’autant qu’elle aussi, forcée de télétravailler, cherchait à le faire autrement qu’engoncée dans des matières qui collent, grattent, serrent. Assemblées bien trop loin pour avoir une idée des conditions dans lesquelles elles le sont.
"On aime ce qui est confortable, simple." Quentin, son compagnon et associé, résume : "L’ADN de notre marque, c’est de miser sur des matières naturelles, à prix juste." Pour la production, "on voulait que ce soit à taille humaine". De celle qui permet, entre autres, de connaître tous les prénoms.
"Il y a une vraie relation de confiance qui s’est installée. La société a grandi avec notre marque et aujourd’hui, cela représente 95 % de leur activité. Ça, ça fait du bien. De voir que l’on a pu participer à l’amélioration de leurs conditions de travail"
À l’autre bout du téléphone, ils s’écoutent, complètent ce que dit l’autre. S’accordent pour dire que depuis le début, c’est l’intuition qui les guide.
"Brune (leur troisième fille, ndlr) est née fin 2013. Poudre organic l’année suivante, reprend Manon. Je cherchais des vêtements en coton bio pour elle et je ne trouvais pas ce que je voulais. Je faisais un peu de couture, de tricot…" Alors elle s’est lancée. D’abord pour elle, ensuite pour la quarantaine d’abonnés qu’elle avait à l’époque sur son compte Instagram.
"J’ai posté la première blouse et tout de suite, il y a eu un engouement. On sentait qu’il y avait une vraie demande. " "Et c’est ce ressenti-là qui nous a portés", complète Quentin.
Les premières années, par sécurité, il joue les petites mains en parallèle de son travail. "On est parti de rien." D’un capital social de 1.000 €, "sans business plan vraiment clair". "On faisait les allers-retours à la Poste pour envoyer les commandes. C’était grisant, excitant." De les voir de plus en plus nombreuses, "jusqu’à ce que ça devienne une charge plus qu’un plaisir" quand le couple passait ses soirées à les préparer.
Embauches et proximité sur les réseaux sociauxTrois ans se sont écoulés avant qu’un "cap" soit franchi. "L’envie de développer ce projet à deux elle était là depuis le début". À ceux qui s’inquiètent alors de ce qu’implique une vie professionnelle commune – et la question brûle les lèvres – "nous, on ne se l’est jamais posée", lâche Quentin.
Il en profite pour "jeter des fleurs" à Manon, qui les accepte bien volontiers "parce que ça n’arrive pas très souvent", glisse-t-elle, dans une taquinerie qu’on entendra à peine. "Je suis très content qu’on partage ça." Et que dans l’aventure se joignent leurs quatre filles ; dont Billie, la petite dernière, née à Auxerre pendant le premier confinement.
A Auxerre, la boutique Poudre Organic est installée sous le passage Manifacier. Photo Marion Boisjot.
"En 2017, du jour au lendemain on se retrouve à deux, puis à trois avec l’arrivée d’Émilie, qui s’occupait à l’époque des expéditions, et aujourd’hui du service client." Puis sur les six derniers mois écoulés, "nous avons fait deux embauches supplémentaires", poursuit Manon. Rappelant qu’en parallèle, il y a leur vie de parents de quatre enfants.
Des propositions alléchantes pour déléguer encore un peu plus ? Ils en ont eu. "Et on a dit non. On veut continuer de suivre la production, que ça ne nous dépasse pas." Tant pis pour d’éventuels gros investisseurs.
"Pour l’instant on avance marche par marche. Tout s’autofinance, et notre volonté reste de suivre ce que l’on fait, de le faire à notre rythme."
Un rythme qui s’accélère ou en tout cas qui ne faiblit pas ; autant que les idées et les projets. Évoqués juste assez pour comprendre qu’ils ne manquent pas.
S’il est loin le temps où Manon dessinait la petite blouse pour bébé avec laquelle tout a commencé, il l’est encore plus, celui où la clientèle se résumait aux amis. "Je me dis qu’on est arrivé au bon moment, au bon endroit, avec le bon produit. Instagram a été un levier magique, qui nous a permis de nous faire connaître avec zéro budget." De développer la marque, étoffer les collections sans perdre de vue l’envie de le faire avec la même démarche : éthique.
Manon Frottier a fait connaître la marque sur Instagram à ses débuts. Photo d'archives Jérémie Fulleringer
"Aujourd’hui, c’est moins un outil de vente direct qu’au lancement." Mais pas question de le délaisser pour autant. S’il faut passer des heures à répondre aux dizaines de messages reçus chaque jour, qu’à cela ne tienne. "Je dessine sur un morceau de papier, et grâce à ça, je le vois vivre." Sur les bébés qui deviennent grands. Et maintenant aussi sur leurs parents.
Caroline Girard
caroline.girard@centrefrance.com