Après la défiance, la ruée des Français sur le vaccin anti-Covid : explications sur un revirement
L’amplification de la vaccination contre le Covid-19 intervient alors que la défiance vis-à-vis de l’antidote semble en net recul en France. Un changement soudain qui mérite quelques explications. Mais aussi des nuances.
Numéro vert saturé, site Internet sante.fr pris d’assaut, listes d’attente à rallonge dans les centres dédiés… À voir l‘engouement de ces derniers jours, on se demanderait presque quelle aiguille a piqué les Français, comme subitement débarrassés de leurs habits d’éternels « Gaulois réfractaires ».
Une enquête publiée le 14 janvier traduit ce retournement en chiffres. Selon ce sondage Odoxa, 56 % des personnes interrogées (*) sont désormais prêtes à relever leur manche pour se protéger du Sars-CoV-2, contre seulement 43 % fin décembre. Et voilà l’Hexagone, catalogué « champion du monde de la défiance vaccinale » jusqu’à la fin de l’automne, qui change de camp, d’un coup d’un seul…
« Ces gens-là pouvaient changer d'avis »Renversant ? Pas tant que ça d’après Antoine Bristielle, chercheur en science politique et expert à la Fondation Jean-Jaurès, auteur en novembre d’une étude remarquée sur le sujet.
« Beaucoup, y compris au sommet de l’État, ont commis l’erreur de réduire les anti-vaccins à des complotistes arc-boutés sur leurs positions et sourds à toute argumentation. Dans leur grande majorité, les sceptiques de l'automne étaient simplement des personnes en plein questionnement, inquiètes du manque de recul vis-à-vis d’un produit nouveau, développé en un temps record, et des possibles effets secondaires. Ces gens-là pouvaient changer d’avis. C’est ce qui se passe aujourd’hui. »
Les images de piqûres par centaines, conjuguées aux premiers retours rassurants sur l’après-injection et au travail de pédagogie entrepris par la communauté médicale, agissent comme un catalyseur puissant.
« On peut penser que la sécurité démontrée, avec des millions de personnes vaccinées dans le monde, joue », confirme le professeur Jean-Paul Stahl, ancien chef du service des maladies infectieuses au CHU de Grenoble.
Effet ricochet de la pénurie annoncée ?Plus inattendu?: l’adhésion croissante à l’antidote serait aussi étroitement liée à… la pénurie actuelle de doses. « Tout ce qui est rare est convoité », résume Marie-Paule Kieny, virologue et présidente du comité scientifique Vaccin Covid-19.
« De façon très prosaïque, il suffit de dire “vous n’en avez pas assez” pour que tout le monde en veuille, abonde le professeur Stahl. C’est une technique commerciale éprouvée, avec une différence notable tout de même?: ici, ce n’est pas volontaire?! »
« La polémique sur le manque de flacons et les difficultés d’approvisionnement ont renforcé l’acceptation vaccinale, reprend le chercheur Antoine Bristielle. Il y a un “effet luxe” qui vient renforcer l’attente et le désir. »
Photo Stéphane Lefevre, Le Populaire du Centre
Les plus jeunes encore réticentsGare cependant aux généralisations hâtives. Car dans le détail, des disparités importantes persistent d’une tranche d’âge à l’autre. Toujours d’après le dernier sondage Odoxa, la part des pro-vaccins culmine chez les plus de 75 ans (86 %), qui ont commencé à être piqués ce lundi, et chez les plus de 65 ans (77 %). Mais elle s’effondre chez les 25-34 ans et les 35-49 ans (45 % dans les deux cas), moins exposés aux formes graves du virus.
Rien ne dit donc que la ruée actuelle sur les sérums de Pfizer et de Moderna – en attendant l’arrivée de leurs concurrents sur le marché – se maintienne dans les prochaines semaines et les prochains mois, lorsque les plus jeunes seront à leur tour éligibles.
Plus largement, « on est encore loin d’en avoir fini avec les questions autour de l’injection », estime Antoine Bristielle, qui anticipe déjà des débats âpres autour du passeport vaccinal. « Plus la campagne va s’amplifier, et plus on va voir des gens réclamer des droits supplémentaires, la possibilité de faire des choses interdites aux non-vaccinés. Ce sera certainement le prochain point de focalisation », parie le chercheur.
Stéphane Barnoin
(*) Auprès d’un échantillon dit « représentatif » de 1.003 personnes âgées d’au moins 18 ans.
Près de 500.000 vaccinés. Ce lundi marquait le début de la vaccination des plus de 75 ans et des personnes atteintes de pathologies « à haut risque ». La journée s’est soldée par 57.746 injections supplémentaires, ce qui porte le total à 479.873 depuis le lancement de la campagne, le 26 décembre. L’objectif du gouvernement est d’atteindre le million de vaccinés à la fin du mois.