« La Creuse ne peut pas plaire à tout le monde...mais peut convenir à bien d'autres !»
Salomé Grangette cultive au village de Masgot une Creuse authentique, fière de son patrimoine et des habitants qui continuent de la façonner.
Incollable sur les détails architecturaux de la Creuse, Salomé Grangette l’a démontré lors des multiples reportages télé consacrés à Masgot. Elle a également un avis tranché sur le développement économique de son territoire.
Creusoise, et fière de l’être ?
J’ai grandi en Creuse, mais j’ai commencé à être fière d’être Creusoise au moment de mes études (à Limoges, Pau, Vichy et en Dordogne). On me chambrait tout le temps, et je me demandais : « pourquoi cet acharnement ? » Et j’arrivais à emmener chaque week-end quelqu’un en Creuse, pour donner une bonne image du coin, mais aussi une image réelle. Ma mère me disait : « Mais en fait, t’es ambassadrice ».
Vous sentiez-vous différente en tant que Creusoise ?
Justement non ! Leur avis n’était pas du tout fondé : j’avais les mêmes baskets, le même cahier…
Pourquoi être revenue, puis restée en Creuse ?
Un hasard. J’ai eu une offre de travail, puis un gros coup de cœur pour les Creusois et les bénévoles de Masgot.
En fait vous avez découvert la Creuse… sur le tard.
Je pense qu’il y a une grosse différence entre habiter et travailler en Creuse. On hérite de nos racines rurales, et donc travailler ici signifie avoir les pieds sur terre, et surtout être tenace. Il faut faire ses preuves, peut-être plus qu’ailleurs. Ce qui est bien, c’est que quand ça marche, on peut être fière de soi ! (rires)
Quel est le principal atout de la Creuse ? C’est la qualité de vie. Pour moi ca veut dire : ouvrir sa porte et pouvoir respirer, et être dans le calme ! Par opposition au périphérique, aux tours bétonnées, aux nuisances sonores, et une certaine insécurité. On est hors métropole, on a de l’espace et peu de monde.
Cette faible densité pourrait être considérée comme un défaut de la Creuse.
C’est vrai que moi la première je trouve qu’il manque des boutiques et des médecins. Je dois parfois aller dans des départements voisins pour régler ces problèmes. Je pense aussi que la Creuse ne peut pas plaire à tout le monde… mais peut convenir à d’autres !
Et concernant le fait qu’il y ait « peu de monde » ?
Je trouve quand même qu’on rencontre beaucoup de monde. Ce serait un peu hypocrite de dire qu’on n’a pas la possibilité de faire beaucoup de rencontres ici, je suis sûre que les citadins côtoient très peu de gens aussi. La différence c’est qu’on vit par villages, eux par quartiers. Pour moi le souci, il est plus au niveau de demandes spécifiques, qu’on doit soit commander sur Amazon, soit en prenant sa voiture. Sans permis, inutile de s’installer en Creuse.
Quel développement économique en Creuse pour y remédier ?
J’ai toujours l’impression qu’on essaie de calquer à la Creuse ce qui existe ailleurs. C’est rassurant d’imiter les métropoles. Mais du coup ça marche pas ! Pourquoi ne pas créer une économie spécifique à la Creuse ? Un exemple : les bus à Guéret. Ils étaient trop grands ! On n’arrête pas de demander des diagnostics à des bureaux d’études qui ne sont pas d’ici. Pourquoi ne pas associer les gens qui y vivent ?
La meilleure chose qui soit arrivée à la Creuse ?
Internet. J’ai été adolescente en Creuse, j’ai connu le très bas débit. Pour le boulot, il faut Internet. Avant, on était obligés d’aller sur le bourg d’à côté pour télécharger une pièce jointe. J’avais vraiment l’impression qu’on n’avait pas les mêmes chances. La couverture mobile arrive, et elle est essentielle aussi. Ce n’est plus possible de se déplacer en ville pour une confirmation d’achat sur Internet.
Comment accueillir de nouvelles populations en Creuse, d’ailleurs le faut-il ?
Il faut montrer le visage réel de la Creuse : ses atouts, ses inconvénients, ses lacunes. Il faut arrêter de vendre une image commerciale idéalisée : c’est comme ça qu’on fait des déçus. Ces stéréotypes marketing, ça me gonfle ! Moi la première qui suis en face de touristes, cet été c’était assez comique : certains nous disaient « Ah bon on ne peut pas traverser la Creuse en canoë ? ». Le Faut-il : oui, il y a encore de la place, mais il ne faut pas forcer les gens à venir ici. Il faut que ce soient de vrais choix. Arrêtons de miser sur la quantité, misons sur la pérennité.
Y-a-t-il une mentalité creusoise ?
Il y a une identité, des valeurs communes. Tout le monde ici aime à peu près la nature. Niveau entrepreunarial, à chaque fois qu’on lance un truc, on nous dit : « Ça ne va pas marcher ». Ensuite on dit : « Ça ne va pas durer ». Et puis enfin : « C’est quand même bien, il faut continuer ! » (rires) Oui, il y a quand même ce côté à la fois pessimiste, mais fier. Ces ambiguïtés creusoises sont quand même assez rigolotes. Par exemple, des gens vont être fiers du fondu creusois, puis nuancer : « Oui en même temps ce n’est pas non plus un plat très élaboré… ». Bon, ça reste des stéréotypes, c’est comme si je disais qu’un Marseillais, ça gueule tout le temps…
Et vous, cela vous arrive de gueuler un juron du coin ?
« Triple buse ! » ou… « T’es bien un bradassou ! ». Ca veut dire que tu es brusque. Parfois il m’arrive moi-même d’être bradassou.
Votre endroit préféré en Creuse ?
Je n’en ai pas. Ce que je préfère c’est d’observer l’architecture creusoise. L’appareillage d’un mur, d’un puits, la corniche, le détail d’une fenêtre, ce sont des clés de lecture du passé, de l’identité creusoise. Savoir lire ça, c’est ce que j’aime le plus en Creuse.
Qu’est ce qu’il manque à la Creuse ?
Je voudrais revoir des bourgs vivants, avec des commerces, du monde dans les rues.
Sans vouloir être provocateur… vous en avez déjà vu, vous ?
Ah, mais oui ! Photos à l’appui ! Petite, j’ai connu la rue piétonne à Guéret, avec plein de petites boutiques ouvertes. À Ahun aussi, en quelques années, les boutiques ont fermé ! Tristesse…
Qui se la raconte le plus vis à vis du Creusois : le Corrézien ou le Limougeaud ?
Le Limougeaud. Je l’ai vécu pendant mes études, je le vis toujours sur le plan professionnel. Et je serre les dents. C’est rare que les réunions avec les gens du Limousin se passent en Creuse.
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À quoi ressemblera la Creuse en 2050 ?
Je la vois verte, nature. Bizarrement je la vois écologique. Bizarrement, car ce n’est pas la préoccupation actuelle. Je pense aussi que c’est un département qui est amené à briller. Je suis très optimiste. Nos atouts sont de vrais atouts pour l’avenir.
Bio express.
Creusoise pur jus. Née en 1991 à Châteauroux, Salomé Grangette passe son enfance à Sardent, étudie au collège de Bénévent-l’Abbaye, puis au lycée Favard à Guéret.
Spécialiste du patrimoine. Elle part à Vichy pour un BTS en environnement architectural avant d’entamer un double diplôme en valorisation du patrimoine entre la faculté de Limoges et le lycée agricole d’Ahun. Elle complète en 2013 par un master en médiation du patrimoine et politique culturelle territoriale à Pau.
Une carrière au pays. Elle retourne en 2014 en tant qu’animatrice à Masgot. Elle devient gestionnaire du site en 2017.
Photo : Bruno Barlier
Propos recueillis par Tom Jakubowicz