En Creuse, pourquoi cette jeune femme vous écoute et vous enregistre ?
Pour garder une trace de la petite histoire, un souvenir de la grande, Anne-Laure Le Joliff s’est lancée dans la biographie sonore. En collectant ces mémoires, elle garde bien plus qu’un morceau de vie.
« Tu sais, Marie-Louise, moi, j’habite juste en dessous, là. Et maintenant, à chaque fois que je vois le clocher, je repense à cette anecdote. » À cette jeune fille qui, le jour de la Libération, est montée jusqu’au coq du clocher pour y hisser le drapeau français. « En bas, tout le monde retenait son souffle. Elle l’a posé. Puis elle est redescendue. Et le drapeau a flotté toute la semaine », raconte une nouvelle fois Marie-Louise. Assise à côté de cette « jeune femme de 98 ans », Anne-Laure écoute. Sourit. Ce souvenir-là a déjà été enregistré. Comme celui de ce bombardement sur Guéret pendant la Seconde guerre : « Ils avaient ramassé cinquante hommes sur la place qu’ils voulaient fusiller. Ce qui les a sauvés, c’est un soldat allemand qui avait été blessé et bien soigné à l’hôpital. Il avait dit que les Guérétois étaient gentils. » Comme ces souvenirs aussi de ses années passées en Afrique.
Tant de vies en une seule, confiées et aujourd’hui conservées sur une biographie sonore.
À l'origine, une collecte de mémoires sur un village« J’ai commencé à faire ça, il y a deux ans, explique Anne-Laure Le Joliff. Édith Goudard, de l’association des Printanières, m’avait demandé de faire une collecte de mémoires sur Saint-Léger-Bridereix pour faire prendre conscience de la richesse de ce village. » Notamment au travers de portraits et d’enregistrements audio. « Cela a été une super-expérience. Avec Quentin, on est allé chez les gens du village, des personnes âgées. Le but, c’était qu’ils nous racontent comment était le village avant. On a découvert qu’il y avait cinq bistrots, deux salles de bal… Pour l’exposition, on a ainsi fait dix portraits : sous le dessin, il y avait un lecteur MP3 pour écouter le témoignage de la personne. Ça a beaucoup plu et du coup, ils ont décidé d’en garder une copie pour la mémoire. » Une expérience qui marque Anne-Laure.
« J’ai découvert beaucoup de choses mais surtout qu’il y avait une génération en Creuse qui avait vécu l’arrivée de l’eau courante et à qui on demandait aujourd’hui de déclarer ses impôts sur internet. »
« Ce grand écart… On parle beaucoup de révolution industrielle pour le XIXe siècle mais ça concernait surtout les villes. Dans nos campagnes, la révolution technologique du XXe a été tout aussi importante. Marie-Louise, elle avait 18 ans en 1939. Tous les enfants jouaient dans les rues, il n’y avait pas de voitures. Son père a été le premier à en avoir une dans le quartier. »
Cette expérience à Saint-Léger, Anne-Laure en parle aussi autour d’elle. « Et là, on me dit : “Ah, mais il faudrait que t’enregistres Machin.” Et puis il y a eu des demandes plus personnelles. D’enfants, de petits-enfants… Qui me disaient : “Mon père a 91 ans, je suis sûr qu’il a plein de choses à raconter. Et j’aimerais garder sa voix.” Je suis donc allée voir ce monsieur, J’ai passé deux après-midi avec lui. Il a beaucoup pleuré, c’était très émouvant. Il ne voulait parler que d’une chose qui l’obsédait : le rôle des 13-15 ans pendant la guerre. Leur rôle de messager qui était très dangereux. Il a été d’une précision incroyable alors que sur le reste de sa vie, tout était très flou. » Anne-Laure a gardé ce souvenir pour le diffuser sur RPG, la radio où elle travaille. Le fils de ce monsieur, lui, a choisi de garder toute la bande, brute, sans montage.
Derrière ces souvenirs, l'histoire d'une générationEt c’est bien ce qui a décidé Anne-Laure à proposer ce qu’elle nomme sobrement une prestation au plus grand nombre. « Je prépare actuellement une collecte de mémoires, comme j’avais fait à Saint-Léger, avec un dessinateur sur le quartier de Brésard, où un immeuble va être détruit. Mais cet été, j’ai lancé un sondage auprès de plus de 200 particuliers. Et j’ai été très surprise par le nombre de retours que j’ai eus, de gens prêts à payer une certaine somme pour ça. »Ces biographies sonores de particuliers, Anne-Laure en a déjà réalisé plusieurs. Avec l’accord de la personne qui a témoigné, elle les diffuse sur RPG. Elle pourrait aussi en confier des copies aux Archives départementales. Car derrière ces voix, derrière ces souvenirs se cache l’histoire d’une génération.
Derrière ce monsieur qui se souvient encore de l’odeur du chocolat qu’il buvait à 3 ans, il y a aussi tout « ce qu’il a vécu durant la guerre et qu’il n’avait jamais voulu raconter à son fils ». Une oreille inconnue recueillant mieux ces souvenirs-là…« Marie-Louise, elle m’a raconté l’importance des bals en Limousin quand elle était jeune. Elle n’y est jamais allée : quand elle avait l’âge, c’était la guerre, il n’y avait pas de bals pendant la guerre. Et puis, après, elle s’est mariée. » « On est la génération sacrifiée des bals, sourit Marie-Louise. Personne de ma génération ne savait danser. »
Pour réécouter une voix qui manqueMais derrière le petit souvenir qui cache une grande histoire, Anne-Laure conserve un bien encore plus précieux : une voix. De celle que l’on oublie quand les photos sont là pour rappeler encore un visage. « Quand j’ai fait ce sondage auprès des particuliers, j’ai eu des réponses très émouvantes. Comme cette personne qui m’a confié : “J’écoute le répondeur de mon papa décédé mais j’aurais bien aimé avoir sa voix sur un support plus adapté.” » Sans doute, cette phrase a-t-elle fait écho chez Anne-Laure. Sans doute est-ce même la première raison d’être de ces biographies d’un autre genre : « En fait, le tout premier enregistrement que j’ai fait, c’était il y a six ans, confie-t-elle. C’était mes grands-parents. Je voulais garder une trace, moi aussi. Je n’osais pas le faire alors j’avais demandé à ma fille de 6 ans de leur poser des questions. Mais ses questions à elle. Du genre comment était leur école… Depuis, ma grand-mère est décédée. Et l’an dernier, mon grand-père m’a demandé ces enregistrements. Pour réécouter sa voix… »Plus d’infos. Auprès de Anne-Laure Le Joliff au 06.88.77.80.32 ou par mail à : antenne@radiopaysdegueret.fr
Séverine Perrier