Herbe, foin bio et beaucoup d'amour : rencontre avec le taureau Niagara et son éleveur d'Aurillac (Cantal)

Sur le podium, il en impose : Niagara, deux ans et demi, pèse déjà plus d'une tonne. Né sous le puy Courny, à Aurillac, dans l'élevage de Géraud Trin, le taureau participe à son premier concours, à domicile, face au Prisme. Et en profite pour se faire bichonner...

Ce n'est pas qu'une histoire de contraste : certes, sur le ring puis sur le podium, Niagara est mené par deux petits gabarits, Estelle, stagiaire sur l'exploitation, et Zélie, 12 ans. Mais il n'y a pas que cela : à deux ans et demi, le taureau est exceptionnel.

« Des animaux comme cela, on en fait naître une fois tous les cinq ou dix ans... »

Face au public, l'animal ne bouge pas, reste tranquille. Son caractère ?  « Il est adorable », rigole Estelle, vite confirmée par Zélie, qui va le voir tout les matins avant d'aller en classe. De fait, l'animal tend la joue pour attraper une caresse, en profite les yeux fermés, pas étouffé par le stress alors qu'il participe à... son premier concours.

Retour en arrière. 7 février 2017, Volage vêle, et le veau est attendu : son père, issu de l'élevage Duffayet, a des qualités que Géraud Trin, l'éleveur, apprécie, tandis que sa mère est reconnue de la lignée d'Inès, primée à Paris. Alors, dès sa naissance, Niagara est remarqué : en novembre, sevré, il part au Fau, à la station d'évaluation de la race salers, où il se montre parmi les meilleurs de la promotion. 

Des records de vente à la station d'évaluation de la race salers dans le Cantal

Un taureau exceptionnel

Dès ce moment, Géraud Trin a déjà décidé de le conserver. Héritier de cinq générations d'éleveurs, il a une idée bien définie de la race : « Il porte les qualités que je souhaite mettre en avant, explique-t-il, regard fier, citant particulièrement la rectitude de son dos, la qualité de ses aplombs. Cela fait des animaux qui vieillissent bien, on ne veut pas en faire une limousine ! C'est une vache écologique, Elle est produite localement et elle est adaptée au pays... »

À son retour sur l'exploitation, au printemps 2018, Niagara est, dès lors, soigné avec une douzaine d'autres animaux, destinés à la vente ou aux concours, qui seront face à la foule : ils sont manipulés, habitués à l'homme. Comme le reste de l'élevage, Niagara a droit à l'herbe, à du foin bio, et à des granulés « produits en Auvergne ! », précise l'éleveur. 

Objectif : le mettre en « robe de noce. Il est bien nourri, mais pas sur-nourri. L'objectif est toujours de mettre la race en avant, pas de le bodybuilder...»

Enfin, depuis dix jours, il est lavé tous les jours, pour s'habituer. Pas besoin de le préparer plus en amont : « Il est brave, et elle les soigne, sourit Anne Champel, compagne de l'éleveur, regard tourné vers Zélie. Cela fait des animaux faciles à dresser. »De gauche à droite : Louane, Zélie, Géraud Trin, Estelle et Anne Champel

Surtout, Niagara n'est jamais contre un geste d'attention, laisse volontiers toute la famille poser autour de lui pour prendre une photo. Sur le podium, il levait la tête bien haut face au public : « Ce sont des animaux fiers dans leur tempérament », continue Anne Champel, vétérinaire par ailleurs.

Ce n'est pas l'éleveur qui impose à la vache d'être un animal de concours. Ils se plaisent ici autant que lui. Il y a une coopération entre l'animal et l'homme. 

Reconnaissance

Le concours national salers, c'est l'occasion de rencontrer le public, de casser une forme de distance. « Cela permet de montrer notre travail, dans un contexte où les éleveurs sont soupçonnés de maltraitance animale, se désole Géraud Trin. Ma fille, sa relation avec Niagara, elle l'a dans ses tripes. C'est une tradition chez nous, qui devient même un handicap pour les épouses, les familles... »

Mais en face, la reconnaissance manque. « Il y a vingt ans, c'était les mêmes prix », souffle Anne Champel. « C'est frustrant, renchérit son mari. Vous avez beau faire progresser votre travail, avec des contraintes supplémentaires, des normes, il n'y a pas d'évolution de ce côté-là. »

C'est trop ingrat, termine Anne Champel. En tant que vétérinaire, je vois trop de gens qui arrivent à la cinquantaine aigris, qui entendent du mal de l'agriculture dès qu'ils tournent le bouton de la radio...

Réfléchissant à voix hautes, ils citent le film de Guillaume Canet, Au nom de la terre, comme un frémissement, le début d'un changement de conscience espéré dans la population. Et d'observer la volonté des consommateurs de revenir vers des productions locales, en se demandant si cela se traduira en amélioration de leur situation. À quelques mètres de là, les syndicats ont déployé une banderole contre les accords de libres-échange du Ceta et du Mercosur : ils redoutent l'arrivée sur le marché de viande produite avec des normes et des contraintes bien plus faibles.

Avenir

Loin de tout cela, Zélie est retournée brosser Niagara. Au printemps, le jeune taureau rejoindra le troupeau pour faire son travail de reproducteur, et enchaînera peut-être les concours. « Il va nous permettre de garder le cap », sourit l'éleveur. Un cap tenu sous le puy Courny, à Aurillac, depuis cinq générations.

Pierre Chambaud