Mensonge ou agression en eaux troubles? Une ex-syndicaliste d'Areva au tribunal
Etait-ce une "horrible agression" sur fond d'accord confidentiel entre Areva et la Chine, comme Maureen Kearney l'affirme en pleurant, ou a-t-elle tout inventé? Accusée de "dénonciation mensongère", cette ex-syndicaliste du groupe nucléaire était jugée lundi à Versailles, dans cette affaire remontant à 2012.
"J'ai ma conscience pour moi. Je peux vous regarder dans les yeux et vous dire que j'ai été sauvagement agressée", répète cette Irlandaise blonde à lunettes de 61 ans.
Secouée de tremblements à la barre du tribunal correctionnel, elle dit se rappeler peu de ce 17 décembre 2012, "le noir", "la terreur qui vous prend".
Alors secrétaire CFDT du comité de groupe européen d'Areva, elle avait été retrouvée bâillonnée et ligotée à une chaise, chez elle, dans les Yvelines. Des plaies traçaient la lettre A sur son ventre et le manche d'un couteau était enfoncé dans son vagin.
"Il n'y aura pas de troisième avertissement. Arrête de t'occuper de ce qui ne te regarde pas", avait prévenu, selon elle, l'agresseur.
La syndicaliste avait alors lié cette agression à son opposition farouche à la signature en secret, deux mois plus tôt, d'un accord entre EDF, Areva et l'opérateur nucléaire chinois CGNPC, en vue du développement d'un nouveau réacteur. Cette opposition lui avait valu, selon elle, des menaces.
"Est-ce que des intermédiaires auraient pu craindre que vos actions conduisent des politiques à remettre en cause ces grands contrats internationaux?", l'interroge son avocat. -"C'est une hypothèse".
Mais les enquêteurs, relevant des incohérences entre les constatations et ses déclarations, avaient conclu que l'agression n'avait pu se produire.
Une enquête pour "dénonciation mensongère" avait été ouverte en janvier 2013 et Mme Kearney, en garde à vue, avait avoué avoir tout inventé. Avant de se rétracter en février en disant avoir subi des "intimidations".
Un homme était ainsi venu la voir, raconte-t-elle, la prévenant que "le rouleau compresseur de la justice et d'Areva allait se mettre en marche".
"Je me sentais obligée" d'avouer, dit-elle en pleurant toujours, "il fallait que je protège ma famille".
- 7.500 euros d'amende requis -
"Trop d'incohérences, trop d'impossibilités" dans les déclarations de Mme Kearney, estime le procureur, qui demande l'amende maximale à son encontre, 7.500 euros, précisant que si le tribunal devait prononcer une peine d'emprisonnement, ce devrait être "du sursis".
Dans cette affaire "hors normes", "chose absolument ahurissante", l'agresseur "arrive sans armes, sans liens, sans cagoule", tout provenant de la maison, souligne-t-il, avant d'égrener d'autres détails "inexplicables".
Maureen Kearney est alors "déprimée, fait une fixation sur ces problèmes de contrat avec la Chine", assène le représentant de l'accusation.
L'avocat de Mme Kearney, Me Thibault de Montbrial, s'assied sur une chaise. Il tente de reconstituer la scène, se contorsionne, conclut: "Impossible à faire tout seul".
"Aucun des éléments prétendument imaginaires du crime n'a été établi", ajoute-t-il en demandant sa relaxe. Ainsi, "le couteau n'a pas été expertisé."
Cette agression ? Un "avertissement", estime l'avocat: "Dans les dossiers qui concernent l'industrie lourde en France", des pressions d'"officines qui travaillent pour des intermédiaires", "ce sont des choses qui peuvent arriver".
Contactés personnellement par Maureen Kearney le 15 décembre 2012 au sujet de l'accord litigieux, les ministres Bernard Cazeneuve et Arnaud Montebourg avaient répondu à ses textos. "Est-ce que vous avez là le comportement de gens qui considèrent que leur interlocuteur n'est pas crédible?"
M. Montebourg, alors ministre du Redressement productif, a produit une attestation lue à l'audience par Thibault de Montbrial. Luc Oursel, alors président d'Areva, "m'avait appelé pour exprimer sa satisfaction, son soulagement", de savoir l'agression imaginée par Maureen Kearney, y explique-t-il.
"Ca fait quatre ans et demi", déclare Maureen Kearney à la barre, "j'en peux plus".
Jugement le 6 juillet.