Futur simple
« C’était mieux avant », diraient nos aînés et tous ceux qui déplorent notre dépendance accrue au digital. À son lancement en 2011, Black Mirror était l'incarnation même de cette technophobie encore balbutiante, renforcée quelques années plus tard par les études alarmantes sur les réseaux sociaux et autres injonctions à la digital detox (hors de prix). En démarrant avec un premier récit so shocking — une sombre histoire de Premier ministre et de cochon — la fiction de Charlie Brooker s'est entourée d'emblée d'un parfum sulfureux, insuffisant pour garantir sa pérennité : Channel 4 a choisi de l'annuler au bout de deux saisons.
Jouissant d'une seconde vie sur Netflix depuis 2016, Black Mirror se voit confrontée au même défi à chaque nouveau chapitre : comment ne pas être prise au piège par son postulat de départ, déverser une énième variation sur le thème de la confrontation des hommes et des machines ? Dans cette saison 4 aussi, dont la diffusion est prévue pour le 29 décembre, il n'est pas rare d'avoir une impression de déjà-vu en découvrant les technologies dévoilées : implants à foison, mémoire malléable, intelligence artificielle.... L'attirail est familier pour quiconque a déjà visionné les 13 épisodes précédents. C'est là que surgit le génie du scénariste : prendre ces gadgets comme simples points d'appui pour explorer la quintessence du storytelling, les conflits et autres dilemmes moraux engendrés par leur utilisation. Ainsi « Crocodile », le premier épisode de cette nouvelle fournée, dessine les contours d'un monde où une enquêtrice peut avoir accès à vos souvenirs (aussi subjectifs soient-ils), tandis que le suivant, « Arkangel », imagine une innovation créée sur-mesure pour les parents hyperprotecteurs.
Comme un calendrier de l'avent renfermant, derrière chaque case, un cauchemar oppressant, Black Mirror varie en goût et en qualité. À ces deux récits inégaux - le deuxième est bien supérieur au premier -, succède l'un des temps forts de la saison, « Hang the DJ », qui, sans atteindre le génie de San Junipero, comblera tous les romantiques dans l'âme. Autre point culminant, le brillant « U.S.S Callister » - dont on taira l'intrigue pour ne pas gâcher le plaisir -, qui prouve, si nécessaire, la capacité de la série à devenir un véritable terrain d'expérimentations. Space opera, comédie romantique, thriller scandinave... La fiction oscille avec brio entre les genres, mais aussi les formes de récits, osant le triptyque (« Black Museum ») ou la course contre la montre en noir et blanc (« Metalhead »). Cette maturité se ressent dans l'essence même des histoires, il est autant question de l'impact qu'ont ces innovations sur nos vies que sur leurs promesses d'immortalité (à travers la digitalisation de la conscience), et un vent d'optimisme - déjà perceptible dans « San Junipero » - traverse quelques épisodes de cette saison 4, via des happy end ou une vision plus humaniste de ces technologies. Aucun doute que le futur réserve de belles heures à Black Mirror.
« Black Mirror », saison 4, à retrouver dès le 29 décembre sur Netflix.