« Souffrance au travail » : vague de départs aux Cités cantaliennes, poids lourd local de la gestion des Ehpad
Dans le Cantal, il s'agit d'un acteur majeur de la gestion des Ehpad. Les Cités cantaliennes de l’automne encaissent une déferlante de départs. Licenciements, démissions, arrêts de travail : la vague émane de cadres haut placés. Tous dénoncent le « management toxique » de la nouvelle directrice. « C’est moi qui suis victime de déloyauté », répond-elle.
Une enquête pour « souffrance au travail » est menée par un cabinet clermontois. Nous avons recueilli sept témoignages, ainsi que la version de la direction.
manu militari », résume-t-il.
Le problème, c’est que ce départ n’est pas le seul. Au siège de l’association, à Aurillac, c’est l’hécatombe. Un responsable des ressources humaines a été licencié début mai. Le directeur financier est en arrêt maladie, tout comme une comptable.Ce malaise ne se limite pas aux fonctions administratives.
Trois des douze infirmières de coordination sont parties. Le directeur médical, qui suit tous les Ehpad, a posé sa démission. Pire, le docteur Micheline Ange, gériatre entrée « il y a vingt et un ans » aux Cités cantaliennes, a elle aussi envoyé sa démission, le 20 avril. Véritable pilier de la maison, elle a accepté que son nom apparaisse. « En fin de carrière, je n’ai rien à perdre ou à gagner, estime-t-elle. Mais j’ai tenu à témoigner car je suis inquiète de la prise en charge des résidents. De la situation du personnel, démuni. »
« La situation actuelle est catastrophique : arrêts de travail et démissions se succèdent aussi bien au niveau du siège que dans les Ehpad. Il n’est pas possible de continuer sans direction médicale, ni infirmières de coordination, ni responsable des ressources humaines, ni directeur financier… »
Le docteur Ange a été témoin de la scène du 7 février, quand Laure Tadéo s’en serait vivement prise au responsable restauration, devant plusieurs cadres. « J’ai assisté à des réunions où le ton était très agressif, notamment à l’encontre d’un collaborateur en période d’essai. J’en ai informé le soir même le président de l’association en lui faisant part de mon incompréhension. J’ai même précisé regretter ne pas avoir quitté la réunion pour marquer mon désaccord, car les propos tenus n’étaient pas entendables. »
Cet épisode, survenu un mois seulement après l’arrivée de Laure Tadéo, a marqué en interne. Mais il ne constitue qu’une pièce du puzzle qui a rendu le climat si délétère.
Les sept employés ou ex-employés avec qui nous avons pu nous entretenir décrivent tous un management par la peur, avec des « doubles attitudes » très déstabilisantes. Résultat, « des gens cassés sur le plan personnel », dépeint le directeur financier, dont l’arrêt de travail est « le premier en sept ans ». « Quand je vois la tournure que prennent les événements, je m’inquiète. Il faut que cela s’arrête. »
Beaucoup ont le sentiment que la directrice générale a noué une alliance avec les directeurs des Ehpad. « C’est une cabale contre le siège ! », s’exclame une infirmière. Toujours en poste, cette dernière compte démissionner dès qu’elle aura trouvé autre chose.
« Au sein des équipes soignantes, l’ambiance est anxiogène. Nous n’avons plus de contact avec une hiérarchie qui, jusque-là, nous guidait. »
Une infirmière
Un responsable des ressources humaines a pris son courage à deux mains. « Mes collaborateurs me faisaient part d’un état de stress chronique. Certains en pleurs dans mon bureau », précise-t-il. « Maux d’estomac, difficultés pour respirer, insomnies… On se demande d’où va venir la prochaine attaque. Comment dois-je me protéger ? Qui sera affecté ? Moi-même ou un autre de l’équipe ? En qui puis-je avoir confiance ? » Le 8 mars, il remet un écrit au président de l’association et lui décrit, de vive voix, « le carnage » en cours. Dans cet écrit, envoyé le jour même à l’Inspection du travail, « j’accuse la directrice générale de harcèlement, le confirme par mes propos. Et j’indique qu’il est de mon devoir d’informer l’employeur de situations de harcèlement ». Ces signalements n’ont sans doute pas joué en sa faveur : ce cadre vient d’être licencié. « Évidemment que j’irai aux prud’hommes… »
Une comptable, actuellement en arrêt maladie, cite une scène qui l’a marquée. Celle-ci se serait déroulée le 7 mars, au siège. « Dans cette ancienne maison d’habitation, il y a des bureaux en bas et en haut. Mon équipe est à l’étage. Ce jour-là, nous avons vu monter un responsable des ressources humaines qui cherchait deux employés. On sentait qu’il n’était pas bien, qu’il se passait quelque chose de bizarre. Je l’ai entendu dire à Mme Tadéo qu’il était de sa responsabilité de se préoccuper de la santé mentale et physique de ses salariés. Et puis Mme Tadéo s’est mise à hurler, dans les couloirs, de manière disproportionnée. Choquante, de la part d’une directrice générale. »
Photo Jérémie Fulleringer.
Ce responsable des ressources humaines est celui qui a alerté l’Inspection du travail. « J’étais dans mon bureau, raconte-t-il. Elle rentre, s’assied et me dit, d’un ton vraiment agressif : “Maintenant, ça va trop loin. Je ne partirai pas ! Je ne partirai pas !” » Estomaqué, il tente de lui répondre, mais préfère d’abord rouvrir la porte pour « aller chercher des témoins ».
« C’était de la rage. De la violence qui éclate au grand jour. »
La commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT) des Cités a été saisie pour « souffrance au travail ». Une commission d’enquête a été instaurée. Mais le communiqué du 18 mars, diffusé en interne, prend les devants. « Dans cette attente, le président de l’association renouvelle sa pleine et entière confiance envers la directrice générale et demande à tous les collaborateurs d’œuvrer dans un même esprit de loyauté », peut-on y lire. Avant même les résultats de l’enquête, menée par un cabinet clermontois, le président a pris fait et cause pour la directrice générale.
« En dernier recours, j’ai alerté les autorités de tutelle : l’Agence régionale de santé et le Conseil départemental, conclut le docteur Ange. Mais mes collègues s’impatientent. Ils ont l’impression que rien ne bouge. »
(*) Ce n’est qu’une première qualification des faits, entendus par un officier de police judiciaire. La plainte ne donnera pas forcément lieu à des poursuites.
La directrice se défend
« Vous vous basez sur sept témoignages… Les Cités cantaliennes de l’automne ne se résument pas à sept salariés », répond Laure Tadéo, la directrice générale.
« Sachez que j’ai le soutien des six directeurs d’Ehpad, de toutes les organisations syndicales et de tous les membres du CSE », le comité social et économique. « Vous avez peut-être sept témoignages : moi, j’ai un dossier de 187 pages. Si vous voulez des preuves, des attestations, j’en ai à vous fournir. À l’appui de tout ce que j’avance. »
Laure Tadéo assure avoir saisi elle-même la CSSCT (commission santé, sécurité et conditions de travail). « Il ne faut pas se tromper de victime. C’est bien moi qui suis victime de dégradations de mes conditions de travail, de déloyauté, de défaut d’information. Et j’ai été entravée dans l’exercice de mes fonctions. »
« Vous pourriez aussi mettre dans l’article que j’ai même été entravée jusqu’à clôturer les comptes et faire les virements de salaires », en avril. À la question de savoir si des employés sabotent le travail, Laure Tadéo répond : « Oui, tout à fait, des employés du siège qui ont été jusqu’à ce que je ne puisse pas faire les virements de salaires. »
Sur la scène du 7 février.« Vous n’avez pas l’antériorité des faits concernant ce monsieur », le responsable restauration, embauché en janvier, qui s’est vu notifier la fin de sa période d’essai, puis qui a déposé plainte contre la directrice.
Celle-ci explique « qu’il s’est particulièrement illustré lorsqu’il est intervenu sur les sites, notamment dans ses process et ses comportements. J’en ai été alertée par les instances représentatives du personnel ».
« Filmer des salariés sur leur lieu de travail sans leur autorisation, c’est extrêmement grave, ajoute-t-elle. J’ai dû faire une note d’information pour présenter mes excuses et certifier que les fichiers seraient supprimés. »
L’ex-responsable restauration nie. « Des membres du personnel m’auraient vu installer des caméras, explicite-t-il, pour surveiller le personnel », lors de sa visite dans un Ehpad de Saint-Flour. Des « propos incorrects. J’ai pris des photos du matériel de cuisine, des zones de stockage et de tables de la salle à manger », mais seulement pour nourrir « l’audit » qu’il préparait. « Si je dis que la trancheuse est en panne, je fais la photo de la trancheuse. » Autre exemple de cliché : « Un sachet de 20 kg de purée, ouvert à tous les vents… »
Sur la scène du 7 mars. « Je me suis emportée parce que j’ai été agressée verbalement », dans les couloirs du siège, par ce responsable des ressources humaines. « Deux attestations sont en mesure de le prouver. »
Les réunions Idec.« Ce sont des réunions d’organisation, de passages de consignes. Et non pas des réunions médicales qui sollicitent une confidentialité des échanges, répond Laure Tadéo. Il est donc normal que les directeurs d’Ehpad y participent. »
Le comité de surveillance la soutient
« Il ne s’agit pas de harcèlement moral contre les salariés, mais d’une tentative de déstabilisation de la direction générale de la part de trois cadres. Pour des raisons très personnelles. »
« Si l’on voulait trouver un chapeau à votre article », le voici, formule Philippe Le Révérend, vice-président du comité de surveillance de l’association, à but non lucratif, des Cités cantaliennes de l’automne. « Laure Tadéo a le soutien de la totalité des membres du conseil de surveillance », ajoute-t-il, soulignant que, dans cette association de loi 1901, tous sont bénévoles.
« Ce conseil de surveillance a recruté une directrice générale compétente et sociale », affirme Bernard Courault, le président des Cités cantaliennes.
« Trois personnes n’ont pas supporté qu’un N+1 les remette au travail et ont pris en otage 480 salariés. Je vais même plus loin. Il y a des mots, que l’on peut employer, qui s’appellent machisme et misogynie. »
Selon le président, le siège a « une fonction support : il doit venir en aide aux établissements, et pas le contraire ». Il répète que les 810 résidents sont « choyés, encadrés par des personnels compétents et dévoués aux Cités cantaliennes ».
« Une seule chose nous anime : le Cantal et l’emploi. Et bien évidemment, à travers cela, le bien-être de nos résidents », conclut-il.
L'Ordre des médecins réagit
« Le secret médical est un droit inaliénable », réagit Jean-François Collin, président du conseil de l'Ordre des médecins du Cantal. « Tout patient a droit à la dignité et au secret, même s’il est dépendant d’un établissement. Des soignants ont estimé qu’il y avait violation de ce secret dans le cadre de réunions. Ils ont donc décidé de démissionner. Je regrette qu’il n’y ait pas eu d’explication ou de solution en amont, car cela laisse les Cités sans coordination médicale. Ce n’est pas une bonne chose, mais il faut rassurer les familles : les soins sont toujours apportés par les médecins traitants au sein des institutions. Les patients sont toujours soignés. Néanmoins, je n’ai pas suffisamment d’éléments pour pouvoir aller au-delà de cette prise de position. L’Ordre pourrait tout à fait organiser une conciliation pour mettre à plat les choses. »
Les autorités de tutelle restent muettes
Contactée, l'Agence régionale de santé explique que « la gestion de la structure et le dialogue social » ne « relèvent […] pas de l’ARS ».
Du côté du Conseil départemental du Cantal, Sylvie Lachaize, vice-présidente en charge de la solidarité sociale, n’a pas donné suite à notre sollicitation.
Nota bene. Laure Tadéo nous a fait savoir qu’elle déposera plainte pour diffamation contre La Montagne et les auteurs des témoignages à son encontre.
Romain Blanc
Follow @rmnblanc