Le Chagrin et la Pitié en haut de l’affiche
Ce film , au début des années 70, a incontestablement marqué un tournant dans l’histoire des représentations des Français sous l’Occupation.
La projection du film sera suivie d’un débat qui sera animé par l’historien Simon Rozel, doctorant à l’Université Panthéon- Sorbonne Paris 1, dont la thèse porte sur le film d’Ophüls dans sa double dimension, historique et cinématographique. Interview.
La réalisation du « Chagrin et de la Pitié » et sa diffusion ont eu une histoire mouvementée. Pourquoi ce psychodrame autour de la sortie du film ? « Le projet est né avant les grèves de 1968 dans le giron de l’ORTF, mais ne peut être engagé en raison des événements. Il est repris après une pause par les deux scénaristes, André Harris et Alain de Sédouy, licenciés de l’ORTF pour leur activisme au moment des grèves. Le film sera financé par une télévision régionale allemande publique, la Norddeutscher Rundfunk, basée à Hambourg, qui le diffuse en octobre 69. En France, André Harris et Alain de Sédouy se heurtent au refus de la télévision française d’acheter les droits. Habilement, ils vont jouer sur le thème de la censure dont ils disent que le film est victime et organisent des projections privées dans différents studios parisiens pour le faire connaître à la presse.
« C’est un énorme succès pour un film documentaire de ce format »Grâce à l’entremise de François Truffaut, la société de production, les Nouvelles Éditions de Films, de Louis Malle, va acquérir les droits et projeter le film d’abord dans une toute petite salle, à Paris, en avril 1971, puis, devant le succès, dans un cinéma des Champs-Élysées où il touche un public plus large et où il va rester en exploitation durant trois ans. Il est également diffusé dans le reste du pays. C’est un énorme succès pour un film documentaire de ce format. »
Comment Marcel Ophüls est-il associé au projet ? Et comment le film va-t-il rester dans l’histoire comme son film ? « Dans la première phase du projet, Marcel Ophüls se montre assez peu intéressé. Il avait déjà été sollicité par André Harris et Alain de Sédouy en 1967 pour réaliser un premier film sur les accords de Munich (« Munich ou la paix pour cent ans »), qui avait été salué par la critique. C’est progressivement qu’il va s’impliquer dans la réalisation et qu’il va prendre en main le film, surtout au moment du montage, où il va faire preuve d’une très grande inventivité. Les choix faits sont typiques de sa personnalité et de sa sensibilité. L’on trouve dans le film des éléments qui ont trait à l’histoire de son père, le grand cinéaste Max Ophüls, réfugié juif allemand en France à partir de 1933 et qui s’engage en 1940 comme soldat du rang dans l’armée française.
Le film est bien sûr marqué par l’atmosphère soixante-huitarde avec la satire des notables installés et la place donnée aux jeunes. Mais surtout Le Chagrin et la Pitié est animé par une curiosité intellectuelle et une forme de questionnement relevant de la philosophie morale, qui lui donnent toute sa force. »
« Une image beaucoup plus complexe que ce qu’en disait le récit héroïque gaulliste »Pourquoi le film a-t-il eu un tel écho à sa sortie ? « Le film prend le contre-pied de ce que Henry Rousso appelle “le mythe résistancialiste”, porté par le discours gaulliste, d’après lequel l’histoire de l’occupation, c’est avant tout l’histoire de la Résistance.
Les personnages qui apparaissent dans le film mettent à mal cette représentation et donnent à voir une image amère et désenchantée de la période, qui se révèle beaucoup plus complexe que ce qu’en disait le récit héroïque gaulliste. »
Quelle est l’importance du « Chagrin et de la Pitié » dans l’historiographie de la France de l’Occupation ? « Le film arrive à un moment où il y a très peu de travaux sur les questions qu’il aborde. Le film émet des idées, parfois fausses, parfois pertinentes, qui ont fait avancer la réflexion des historiens.
Il y a une génération dans les années 70 qui a été influencée par le film. On l’a dit de « Shoah », de Claude Lanzmann, on peut le dire aussi du Chagrin et de la Pitié : ce sont des œuvres aussi pertinentes que des œuvres d’historiens, déployant tout leur savoir scientifique. »
Pratique. Le Chagrin et la Pitié , samedi 28 septembre au cinéma Grand écran de Vichy, en deux parties, de 9 heures à 12 heures et de 14 heures à 17 heures. Entrée : 6 €.