"L'héritage celtique est aussi présent en Auvergne" : originaire du Puy-de-Dôme, Alan Stivell jouera à l'abbatiale d'Issoire
Il a soufflé, cette année, ses 80 ans. Toujours aussi empreint par la culture celtique, l’Auvergnat de naissance Alan Cochevelou, alias Alan Stivell à la scène, fourmille de projets et viendra présenter son dernier, « KAlon hag Ene » (Cœur & Âme), à l’abbatiale Saint-Austremoine d’Issoire, ce vendredi, à partir de 20 heures.
Vous connaissez l’Auvergne et le Puy-de-Dôme en particulier je crois ?
Oui, je connais l’Auvergne. Je l’ai connue dans la première année de ma vie, donc sans réel souvenir de cette époque, puisque je suis né à Riom. Je suis revenu aux sports d’hiver à Super Besse. Et puis, plus tard, lors de mes premiers concerts professionnels au début des années 1970.
Vous venez donc à Issoire présenter votre nouveau projet « KAlon hag Ene ».
C’est écrit en breton, faute de l’avoir écrit en auvergnat. Mais vous allez traduire : ça signifie Cœur et Âme.
Qu’est-ce que ce projet recèle ?
En ce moment, pour moi, deux tournées s’entrelacent. Une tournée plus rock avec mon groupe. Et une intimiste, depuis juin 2023 dans les églises et cathédrales de Fran,ce. C’est avec ce format-là que je viens à Issoire : presque en solo. Je suis accompagné d’un seul musicien, Tanguy Miossec, au clavier. Cela permet d’être plus en écoute. Beaucoup plus recueilli. Et puis il y a un jeu différent aussi avec une acoustique très particulière. C’est valable pour le public : il y a une écoute qui est quasi religieuse dans les églises ; mais ça l’est aussi pour moi.Alan Stivell considère qu'il est en plein pèlerinage musical et intimiste dans les cathédrales, églises et basiliques de France et même d'Europe. Photo Gilles Krampes.
En quoi cela est différent pour vous ?
Ça m’oblige à me surpasser autant que je peux. Parce qu’il y a une grande concentration : bien sûr sur la voix, mais aussi sur l’instrument et la musique. Parfois, on n’a pas le temps de s’occuper de microdétails dans l’interprétation. Là, je peux le faire. Il y a une émotion partagée qui est encore sûrement plus grande : parce qu’on a ce sentiment d’être très proche des gens. Même quand les spectateurs peuvent être un peu loin dans une grande église ou dans une cathédrale, il y a quand même cette sorte d’écoute très particulière. Une émotion, une intimité qui n’est évidemment pas du tout la même que dans un festival de rock !
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Vous appréciez ce côté intimiste, plus recueilli ?
Tout individu, je crois, a au moins deux aspects : un côté joyeux, très festif et un plus introspectif et méditatif. Il arrive que certains se « sur-spécialisent » dans l’un ou l’autre des aspects. Mais moi je ne peux pas choisir. J’aime et j’ai besoin des deux.
Cette tournée est-elle l’occasion d’un regard rétrospectif ou au contraire avant-gardiste ?
Là encore il est difficile de choisir : c’est un peu les deux. Depuis des décennies, je travaille sur des prototypes de harpes que je fais construite exprès pour moi. Être mélodique et intimiste n’empêche pas d’aller de l’avant musicalement, même d’un point de vue technologique. On bénéficie de musique amplifiée, quasi hi-fi, aujourd’hui. Mes recherches en termes de harpe, avec ces prototypes, permettent d’obtenir un son amplifié le plus beau possible : le plus cristallin. Cette tournée n’est donc pas uniquement un retour aux sources et à mes origines musicales, qui serait très traditionnel. Il y en a une part que j’exprime, oui. Mais ce projet, c’est ma conjugaison à moi : cela reste très personnel.
Votre père vous a précédé sur le travail autour de la harpe. Il est un musicien et luthier reconnu sur l’instrument, je crois ?
Oui. Mon père avait construit une harpe celtique. D’ailleurs c’est amusant : mes parents ont déménagé plusieurs fois pendant la guerre. À un moment ils se sont retrouvés dans le Puy-de-Dôme et c’est ainsi que je suis né là. Mais c’est aussi à Clermont-Ferrand que mon père a rencontré un harpiste, d’origine bretonne, professeur de harpe au conservatoire de Clermont, M.Hamonic. Cela va le décider, après la guerre, à entreprendre la construction d’une harpe celtique, son vieux rêve. C’est cette rencontre, à Clermont-Ferrand, qui a été un élément moteur pour ce qui s’est passé après. Assez vite, après la guerre, il a commencé à faire des plans, a construit sa harpe celtique et ça a été une révolution. Pas que pour moi mais pour tous ceux qui veulent en jouer. Moi, je suis tombé dans ce chaudron-là quand j’avais neuf ans.Votre "set list" comporte plutôt des titres fondateurs, des morceaux rares ? Les deux. Des morceaux très connus et d’autres beaucoup moins ! Les arrangements, avec cette configuration quasi religieuse, permettent d’entrer dans des microdétails de certains morceaux. Une façon de redécouvrir des titres de manière complètement inédite.
Qu'y-a-t-il d'Auvergnat, chez vous, encore, aujourd'hui ? J'y suis né et j’ai vécu à peine plus d'un an en Auvergne. Mais il est difficile de penser que cela a eu une énorme influence. Mais malgré tout, j'ai une émotion, et je sens mon coeur qui bat quand je reviens en Auvergne. Ça fait partie de mon histoire. Parfois, je me prends à me demander pourquoi j'aime autant ce type de montagnes, souvent un peu arrondies, pas forcément très hautes. Je retrouve ce genre de montagnes plus en Ecosse qu'en Bretagne. Mais ces montagnes étaient là, pas loin, quand je suis né dans le Puy-de-Dôme. Le substrat celtique est aussi présent en Auvergne : on ne peut pas l'ignorer quand on voit la statue de Vercingétorix, qui est un grand héros celte. Dans les montagnes auvergnates, on a continué à parler celtique/ gaulois, jusqu'au Haut Moyen Âge. L'imprégnation celtique de l'Auvergne est une réalité, selon moi. Mais elle mériterait peut-être d'être peu un peu plus mise en exergue... De là, à ce que l'Auvergne vienne au festival Interceltique de Lorient, on n'en est peut-être pas là, mais il n'y a pas de raison que l'Auvergne rejette ses racines là... Elle a sûrement son mot à dire, la culture du Massif Central méritant d'être mise en avant !
Propos recueillis par : Marie-Edwige Hebrard
Pratique. Concert d’Alan Stivell à l’abbatiale Saint-Austremoine d’Issoire, vendredi 28 juin à 20 heures. Tarif unique : 40 €. Réservations sur arachnee-concerts.com