Cessez-le-feu torpillé, entrée à Rafah... Pourquoi Benjamin Netanyahu s'enfonce dans la stratégie du pire pour Israël
L'offensive terrestre sur Rafah avive les critiques internationales contre la politique de Benjamin Netanyahu. Sébastien Boussois, expert en relations internationales, décrypte les motivations et les conséquences de la stratégie du Premier ministre istraëlien.
Une escalade aux airs de fuite en avant. En lançant son offensive tant redoutée sur la ville surpeuplée de Rafah, dans la bande de Gaza, alors qu'un cessez-le-feu avait été accepté par le Hamas, Benjamin Netanyaou s'ancre dans sa logique de guerre, essuyant une pluie de critiques venant du monde entier. Le commentaire du quotidien d’opposition israélien Haaretz en dit long : "Netanyahou espérait que le Hamas refuse le cessez-le-feu, lorsque ça ne s’est pas produit, il s’est mis à le saboter". Chercheur et enseignant en relations internationales, Sébastien Boussois décrypte la stratégie du Premier ministre israélien devenu selon plus "un gestionnaire de crise qu'un chef d'État".
Alors qu’un cessez-le-feu, accepté par le Hamas, semblait à portée de la main, une offensive contre Rafah a été menée. Que cherche Netanyahou ?C'est comme si Israël considérait que tout accord accepté par le Hamas est suspect et qu'il ne pouvait donc accepter cette question du cessez-le-feu. Israël refusera tant qu'il n'y aura pas éradiqué complètement le Hamas. Cette politique jusqu'au-boutiste a pour but de masquer la responsabilité totale de Netanyahu et de Itamar Ben-Gvir, le ministre de la Sécurité dite nationale, qui auraient dû démissionner dès le lendemain du 7 octobre.
Netanyahu a défini ses objectifs de guerre : éradiquer le Hamas. C'est aussi un gage lui permettant de maintenir sa fameuse coalition très acrobatique, avec ses fameux deux ministres, Itamar Ben-Gvir et Bezalel Smotrich, les deux plus extrémistes des courants au pouvoir.
Cette logique jusqu'au-boutiste isole Israël. Est-ce tenable dans la durée ? Les États-Unis pourraient-ils "lâcher" Israël ?
Le fait que le Hamas ait pu faire ce qu'il a fait, ou que l'Iran ait pu de façon absolument décomplexée lancer des drones et des bombes en direction d'Israël, conduit Netanyahu à reprendre le contrôle et du poil de la bête. C'est pour ça qu'il va jusqu'au bout. Il veut montrer qu'il est increvable, indéboulonnable, qu'il serait le meilleur à même de gérer le pays.
Netanyahou devient un gestionnaire de crise, plus qu'un chef d'État. Il n'y a plus de direction, plus de vision de ce qu'est l'État d'Israël. Aujourd'hui, le sionisme a fortement évolué, il n'est plus ce qu'il était il y a un siècle. Il y a vraiment un affaiblissement de l'État d'Israël dans un contexte global régional très hostile.
Du coup, Netanyahu n'est pas un homme politique qui marquera la fin de la colonisation, la création d'un État palestinien. Il gère une crise et les conséquences de la guerre. Et comme c'est le dernier personnage de cette génération, dont la famille a créé l'État d'Israël, ça marque véritablement un tournant. On aura probablement plus tard d'autres leaders qui représenteront peut-être un espoir de renouveau de la démocratie Israélienne, revenu à plus de modération, avec des personnes vierges d'un passé de guerre et lié aux massacres du 7 octobre.
Comment voyez-vous l'avenir ? Qui pour succéder à Netanyahu après la guerre ? Dans quel état sera Israël ?
Netanyahu peut s'accrocher au pouvoir tant qu'il y a la guerre. Mais à un moment ou un autre, à l'issue de la guerre, il y aura des élections et là, ça risque d'être évidemment plus compliqué. Netanyahu a toujours cherché à maintenir ses coalitions, en allant toujours le plus à droite de l'échiquier. Mais on est au bout du bout : je ne suis pas sûr que ça puisse tenir sur le temps.
Benny Gantz peut assurer une relève durable d'un point de vue politique. Mais tout cela est très provisoire, car il y a une crise fondamentale de la démocratie, de la sécurité, de la citoyenneté en Israël, avec cette éternelle question de l'État palestinien ou pas, de la fin de la colonisation ou pas. Je ne pense pas qu'il n'y ait un leader israélien à ce jour à même de proposer ça. D'autant plus après le 7 octobre : ce serait vraiment faire un cadeau aux palestiniens et ce serait, en quelque sorte, couronner de succès l'attaque du Hamas le 7 octobre.
Dans un entretien à CNN, diffusé mercredi 8 mai au soir, le président américain a reconnu que des civils avaient été tués à Gaza par des bombes fournies par les États-Unis. La Maison-Blanche a confirmé, mardi, la suspension d’une livraison d’armes à l’État hébreu… C'était prévisible ?
Joe Biden joue la carte de l'émotion, alors que ce n'est absolument pas une surprise. Je ne l'ai pas entendu sur ce qui s'est passé en Irak, sur les armes qui ont tué des civils lors de la guerre du Yémen, 400.000 victimes depuis dix ans quand même. Je sais qu'à partir du moment où l'on vend des armes, on n'est pas responsable de la finalité. Mais je pense qu'il a trouvé cet argument, parce qu'un moment ou un autre, évidemment, les ONG vont revenir sur ce sujet.
Recueillis par Nicolas Faucon