Main d'œuvre, matière première, environnement... la fromagerie familiale Duroux relève les défis en Xaintrie (Corrèze)
Rilhac-Xaintrie est une sorte de bout du monde. Aux confins de la Corrèze et du Cantal, à une trentaine de kilomètres d’Argentat, 60 de Tulle, 73 de Brive et 50 d’Aurillac. Une commune située sur un plateau où les vaches qui paissent dans les prés ont la robe foncée et les cornes caractéristiques des salers. Rilhac, c’est 300 habitants et, au cœur du village, des bâtiments qui s’étendent sur près de 5.000 m2 : la fromagerie Duroux. Fabricant et affineur de fromages depuis 1936. Cyprien Duroux, 30 ans, « apprenti chef » est à la tête de l’entreprise familiale depuis 11 ans, en duo avec son père Jean. Il est l’arrière-petit-fils du fondateur Louis qui a commencé avec un cheptel de 10 vaches au lieu-dit Pomeyrol.
14 millions de litres de laitDepuis, l’entreprise a bien grandi et multiplie chaque année les récompenses au concours général agricole de Paris. 52 médailles en 20 ans !Duroux, c’est avant tout un savoir-faire. Un lait collecté chaque jour de l’année par ses propres soins auprès des 48 producteurs situés dans un rayon de 25 km. L’ultra local. Chez Duroux, on fabrique Cantal, tome de Rilhac, pavé corrézien, tome fraîche… et on affine salers et tome de brebis.En chiffres, ce sont 14 millions de litres de lait et 2.000 tonnes de produits commercialisés par an. Mais Duroux, c’est aussi aujourd’hui trois grands défis à relever dont parle le directeur.
1. Le recrutement
Fromagers, aide-fromagers, affineurs, service qualité, administration, chauffeurs-livreurs… au total, 43 personnes travaillent dans l’entreprise pour proposer des fromages chouchoutés entre 1 et 14 mois dans le tunnel de Pandrignes et dans les caves de Rilhac où les meules sont brossées et retournées deux fois par semaine. Pour Cyprien Duroux, la question du recrutement est donc un enjeu majeur dans une commune excentrée de 300 âmes.
Les trésors affinés de la Maison Duroux, véritable institution créée en 1936 à Rilhac-Xaintrie en Corrèze
« Le premier cinéma est à Argentat et pour avoir plusieurs séances par jour, il faut aller à Tulle ou Aurillac. Ça plante le décor », résume le directeur. Une difficulté à recruter d’autant plus grande dans les métiers du savoir-faire. « Pour devenir affineur, il faut tester. Le retour est long avant d’avoir un impact sur les gestes. Il faut 3 à 4 ans de formation avant d’être un bon affineur. Quand on change une recette par exemple, il faut attendre 5 mois pour avoir le résultat ». Le fromage, c’est donc l’école de la patience. Chez Duroux, on apprend en interne et on espère attirer les jeunes, comme des alternants. « On essaye de les retenir en montrant qu’il y a de beaux métiers sur le territoire, que c’est valorisant. Certes, il y a des contraintes mais aussi des choses intéressantes en termes de rémunération », glisse le responsable. Pour pallier cette difficulté de recrutement, l’entreprise projette d’investir en 2025 dans la création de logements avec des chambres. « Cela peut participer à l’attractivité », espère Cyprien Duroux.Racheté en 1983 par Paul Duroux, le tunnel de l’ancien train à vapeur à Pandrignes permet d’affiner à 12 degrés 15.000 fromages dont 3.000 meules de Cantal de 40 kg brossées et retournées deux fois par semaine. Photo Pierre Soissons2. La matière première
Autre défi à relever pour l’entreprise et pas des moindres, sécuriser sa matière première : le lait. L’entreprise a de gros besoins, 14 millions de litres de lait qui doivent être produits par des éleveurs invités à respecter un cahier des charges contraignant afin de répondre aux critères de l’AOP (appellation d’origine protégée).
Une baisse des producteurs de laitLa production laitière est exigeante avec deux traites par jour. « Socialement, c’est très contraignant », reconnaît Cyprien Duroux qui avance des chiffres inquiétants : Sur le périmètre de l’AOP Cantal (Cantal, Puy-de-Dome, Haute-Loire, Aveyron, Corrèze), le nombre de producteurs est passé de 968 à 762 entre 2020 et 2024. « En 2013, ils étaient encore 1.300 », observe celui pour qui la solution passe par l’incitation économique. « Nous sommes parmi ceux qui paient le mieux le lait en Auvergne. On cherche une valeur ajoutée, on valorise avec un affinage long. On rachète le lait plus cher que d’autres parce qu’on vend aussi plus cher ». La fromagerie a besoin d’un lait de qualité pour répondre à l’AOP. Une contrainte pour le producteur « mais s’il le fait, il est mieux rémunéré ». Une incitation financière qui ne suffit pas. La contrainte sociale est importante avec une exigence de présence qui stoppe les producteurs laitiers.
On a participé au financement d’un service de remplacement, complète Cyprien Duroux.
Rapidement, la personne chargée de tourner sur les exploitations en cas de maladie, congés… a trouvé un rythme de croisière en pouvant assurer les traites sur deux exploitations chaque jour.Le caillé est découpé et pressé plusieurs fois
3. L’environnement
Dernier défi majeur pour l’entreprise, celui de l’environnement et notamment de la ressource en eau. Le plateau de la Xaintrie est touché régulièrement par des sécheresses estivales qui conduisent même, selon les étés, à des citernages. Alors que les élus essaient de trouver des solutions, l’eau est un besoin vital pour l’entreprise.
Dans la salle des presses, le travail est physique.
« Sans eau, on ne démarre pas le matin », appuie le directeur qui évalue les besoins à 75 m3 par jour. Des besoins essentiellement pour le nettoyage des cuves et des presses. Il en va de la sécurité alimentaire. « On a fait des investissements et on optimise nos consommations, explique le dirigeant. L’eau de rinçage est utilisée pour le prélavage le coup d’après, c’est le principe de la bassine chez mamie ». Mais le responsable ne veut pas être pris en otage sur cette question délicate pour le territoire.
« Nous, tout ce qu’on demande, c’est que l’on nous garantisse des volumes d’eau pour pouvoir travailler et pérenniser la situation. On a des salariés, des éleveurs à collecter, on a une responsabilité… Qu’importe la solution retenue. On fait confiance aux élus pour retenir le meilleur modèle, car on n’est pas compétent en la matière. On a juste besoin des éléments pour prendre les bonnes décisions ».
Et pour faire taire les rumeurs, Cyprien Duroux rappelle que l’entreprise n’a pas investi 12 millions d'euros ces dernières années pour partir. « On a fait le choix de rester, car on est viscéralement attaché à notre terre et à nos producteurs ».
Laetitia Soulier