Cette victoire contre le Front national à l'élection présidentielle a un arrière-goût de défaite
Ce soir, à l'occasion du second tour de l'élection présidentielle, le Front national est battu à plate couture. Pour tous ceux, dont je suis, qui considèrent que le racisme et la xénophobie sont fondamentalement incompatibles avec les valeurs de la République, c'est bien sûr une victoire. Elle a toutefois un arrière-goût de défaite.
Un arrière-goût de défaite parce que le score du FN a significativement progressé du premier tour au second. Cela signifie que contrairement à 2002, lorsque le score de Jean-Marie Le Pen d'un tour à l'autre avait été quasiment le même, il n'y a désormais plus de digue étanche entre ceux qui votent d'emblée pour le FN, et tous les autres. Cela signifie aussi que cette fois-ci, tout un pan des électeurs de droite par adhésion à la xénophobie, tout un pan des électeurs non-alignés par haine absolue envers le système, et même une partie des électeurs de gauche pour jeter une grenade dégoupillée dans l'urne, ont choisi Le Pen.
Un arrière-goût de défaite parce que sur la base des résultats du premier tour de l'élection présidentielle et de la dispersion de l'électorat français en quatre grands blocs de force comparable, le FN peut objectivement espérer obtenir davantage de députés lors des élections législatives de juin prochain.
Un arrière-goût de défaite parce que contrairement à 2002, il n'y a eu dans l'entre-deux tours ni grandes manifestations de masse dans nos rues, ni unanimité des élites du pays pour appeler au front républicain. Il y a bien eu des manifestations mais elles ont été quantitativement marginales. Et il y a bien eu l'indignation de quelques personnalités mais trop peu, trop tard, et la plupart après cinq années d'hibernation paresseuse de leur antifascisme.
Un arrière-goût de défaite parce que dans l'entre-deux tours, le débat public français n'a été bon qu'à se lancer dans un climat malsain de chasse aux sorcières envers ceux qui envisageaient de voter blanc ou de s'abstenir, alors qu'il fallait plutôt un débat calme, argumenté et raisonné, entre adultes qui se respectent les uns les autres en essayant de se convaincre du bon chemin à suivre. Qui pis est, bon nombre d'éditorialistes et de médias mainstream ont eu l'outrecuidance de donner des leçons de vote républicain, après avoir eux-mêmes servi la soupe de la "dédiabolisation" au FN cinq années durant.
Un arrière-goût de défaite parce que comme Jacques Chirac avant lui en 2002, Emmanuel Macron compte appliquer son projet de gouvernement comme s'il avait été élu pour cela. Or, les enquêtes disponibles indiquent déjà que la moitié de son score du premier tour est un "vote utile" sans adhésion. Et par définition ses voix supplémentaires au second tour, c'est-à-dire plus de la moitié, ne sont pas un vote d'adhésion non plus. Sur un socle de soutien aussi faible, de l'ordre de grosso modo 15% de l'électorat, une accumulation progressive d'hostilité et de ressentiment est prévisible dans le nouveau quinquennat qui s'ouvre.
Un arrière-goût de défaite parce que, dans un contexte socio-économique qui voit plus de la moitié des Français basculer dans le précariat sous l'égide de ce que j'ai appelé la "mondialisation malheureuse", la poursuite de la montée en flèche du vote antisystème est elle aussi prévisible. Or, si sans doute une partie de cette montée ira à La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, qui est dans le champ républicain, tout un pan ira aussi au FN, qui n'y est pas.
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