Succombez à l'univers onirique de Mamoru Hosoda avec Le Garçon et la Bête en DVD
La France a décidément un rapport curieux à l'animation japonaise. Nous avons inventé l'animation, en sommes le deuxième producteur mondial et l'un des plus gros consommateurs. Ici, le manga est autant lu que la BD franco-belge (plus de 40% du marché de la BD les années fastes, contre seulement 10% pour les comics américains). Pourtant, contre toute logique, il semble impossible aux films animés japonais de rencontrer le succès au cinéma chez nous. Deux exceptions: le long métrage adaptant la série Pokemon (tristesse), et les films d'Hayao Miyazaki, qui ont obtenu un accueil triomphal à partir de Princesse Mononoke. En revanche, les autres chefs d'oeuvre du studio Ghibli, dont ceux d'Isao Takahata (Le Tombeau des lucioles, Le Conte de la Princesse Kaguya), les films de Satoshi Kon (Perfect Blue, Tokyo Godfathers), ceux de Katsuhiro Otomo (Akira, Steamboy), ou encore l'an dernier le beau Miss Hokusai n'auront connu, au mieux, que des succès d'estime. Les rares succès restent circonscrits au marché de la vidéo.
L'immense Mamoru Hosoda est frappé par cette malédiction. Plusieurs de ses films sortis avec courage par un petit distributeur indépendant: Eurozoom auront à chaque fois trouvé un formidable écho critique, sans que cela ne pousse les spectateurs vers les salles. Lorsqu'une major: Gaumont, s'était décidée à sortir un nouveau Hosoda, annoncé comme un film de la maturité, avec des moyens marketing plus importants (comme Disney l'avait fait pour Miyazaki), on s'était pris à y croire. Mais non: malgré toutes ses qualités, Le Garçon et la Bête n'a pas mieux marché que ses prédécesseurs.
Kazé nous offre aujourd'hui l'opportunité d'une séance de rattrapage avec une magnifique édition vidéo qui permettra peut-être à ce superbe film de rencontrer enfin son public. Car il faudra bien un jour que les nombreux fans de Miyazaki découvrent Hosoda, sans doute le plus prometteur des réalisateurs d'animation japonais contemporains, après trois films d'une grande variété thématique.
La Traversée du temps d'abord, avait posé les bases d'un cinéma intimiste nourri par un argument fantastique (une lycéenne remontant le temps). Un petit choc inattendu à l'époque, et la découverte d'un cinéaste assurément à suivre. Son film suivant: Summer Wars était bien plus geek, abordant intelligence artificielle et mondes virtuels dans la droite lignée d'un Ghost In the Shell, mais comme toujours chez Hosoda avec une dimension plus familiale. Le meilleur restait à venir avec Les Enfants Loups, Ame et Yuki, qui avait montré des qualités tellement extraordinaires qu'Hosoda était apparu comme un possible successeur à Hayao Miyzaki. Ce dernier avait d'ailleurs envisagé de le recruter au sein de son studio Ghibli pour lui confier le projet Le Château Ambulant avant de se décider finalement à faire le film lui-même.
Le Garçon et la Bête ne se situe pas dans cette veine naturaliste et bucolique. Le film est bien plus énergique, et se destine sans doute à un public plus jeune, bien que le film s'adresse, de l'aveu d'Hosoda, autant aux adultes qu'aux enfants. Dans une dimension cachée où les animaux (doués de la parole) peuvent s'évader pour se rapprocher de leurs divinités, un petit garçon fugueur de 9 ans s'immisce par accident. Méprisé par les animaux en raison de sa nature humaine, il devient pourtant le disciple d'un ours géant champion d'arts martiaux, avant de revenir plusieurs années plus tard sur une Terre dont il ne maîtrise plus les codes. Écartelé entre les deux mondes, il est rongé par un conflit de loyauté entre son père adoptif et ses parents naturels.
Le film est déroutant (et même décevant) dans ses premières minutes, et prend le temps de s'installer pour convaincre. L'ampleur thématique et philosophique du Garçon et la Bête ne se révèle que dans la seconde moitié du film, qui s'avère être une réflexion sur la noirceur de l'âme humaine, susceptible de contaminer chacun d'entre nous s'il n'est pas vigilant. Génie du cinéma japonais pour la jeunesse, qui ne raconte jamais l'affrontement manichéen du bien contre le mal mais s'efforce de montrer le monde avec ses travers, mais aussi les ressources en chacun de nous pour y faire face.
La direction artistique est époustouflante, dans la meilleure tradition de l'animation japonaise: un soin maniaque est accordé aux détails, et le travail sur les décors est extraordinaire, notamment sur la ville de Tokyo qui a rarement été aussi bien dessinée. Ceci s'explique car la production a réuni quelques uns des meilleurs artistes du Japon autour d'Hosoda.
Récit d'initiation, conte fantastique, histoire d'amour, film d'action, réflexion sur la famille et la paternité: Le Garçon et la Bête est tout ça à la fois. Un film complexe à raconter, et donc à vendre. On sent bien que Gaumont n'a pas trop su quoi faire de ce trésor, et on ne leur jettera pas la pierre tant ce film est à des années-lumières des produits marketés comme des barils de lessive. Kazé propose une très belle édition, intégrant en plus du BluRay et du DVD du film le roman écrit par Hosoda, ainsi qu'un livret d'une centaine de pages très instructives, proposant commentaires, dessins et interviews. Si ce n'est pas déjà fait, c'est le moment de vous laisser convaincre pour découvrir l'œuvre d'un cinéaste singulier et passionnant, avant de voir et revoir Les Enfants Loups, qui reste le sommet de l'œuvre d'Hosoda.
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