Dans la Creuse, ils ont 15 ou 16 ans et se rêvent designers

Au fait, pourquoi vient-on en arts appliqués au lycée Raymond-Loewy de La Souterraine ? Tentatives d’explications avec 35 nouveaux élèves de seconde qui ont choisi l’option “création et culture design”. Cet article est le premier volet d'une nouvelle série que nous consacrons à deux classes de seconde, dans deux filières emblématiques du territoire : les arts appliqués de La Souterraine et l’agriculture à Ahun.

« Je tricote tout le temps. Et ça, je l’ai fini en cours de maths », lance Tifenn en montrant un manchon en laine. « Nous, quand on a fini, en maths, on fait juste un autre exercice de maths... », rebondit malicieusement Tori, juste à côté.

Six heures par semaine pour s’initier à l’art

En 3e l’an dernier à Limoges, ces deux élèves se sont entendu dire “si tu es créatif, va à La Sout !”. Et cette histoire se répète aux quatre coins de l’atelier des secondes Arts appliqués ce mercredi après-midi. En réalité, à ce stade, les “AA” ne sont que des secondes générales avec une option de six heures supplémentaires par semaine pour s’initier aux différentes techniques et notion touchant à l’art.

Mais il ne faut pas longtemps pour déceler ce petit je ne sais quoi qui les distingue parmi le peuple de Loewy. Bastian non plus ne s’y est pas trompé, jeune Fursacois qui est le seul non-interne de la promo :

Comme j’étais déjà là au collège, je faisais du skate avec les term AA, que je voyais aussi dessiner, je me suis dit que ça pouvait grave me plaire.

Les secondes travaillent sous les regards et conseils bienveillants de leurs professeurs.15 ans et déjà plein d'idées de métiers 

C’est fascinant de voir comment germe l’inspiration avant de s’épanouir en vocation : « J’ai eu envie de venir en regardant un documentaire sur la directrice artistique de Hunger Game », sourit Juliette.

Ici une série, et là des chaussures : « Moi je m’intérresse aux marques et j’aimerais être designer de sneakers », avoue Malo. Avant de se faire chambrer par ses voisines : « nous, les Snickers, on les mange ». Encore dans le besoin de légèreté, mais déjà avec des visions matures.

Les coulisses. Lorsque nous les avons rencontrés pour la première fois, les jeunes ne savaient rien du projet... Les profs avaient gardé la surprise. Dans un bel exercice de démocratie scolaire, ils ont tous voté pour donner leur accord sur ce projet. Un plébiscite enthousiasmant qui se retrouvait dans la chaleur et la simplicité avec laquelle ils nous ont parlé quand on les cuisinait. Pas si évident. Mais rien d’étonnant pour les profs qui louent un vrai état d’esprit dans cette filière particulière. Pour le favoriser d’ailleurs, elles ont demandé à supprimer la cloison qui les séparait en deux classes afin de créer un format atelier et donc un collectif.

Les petits lycéens oscillent entre deux pôles et vous déroutent à coup sûr. Qui peut se targuer d’avoir eu des idées aussi claires en arrivant au lycée. Ainsi Joris :

 À la base, je veux être luthier. J’aurais pu faire directement un CAP métiers du bois. Mais ça m’embêtait de ne pas avoir le bac.

Ainsi Lana : « J’aimerais être designer graphique... Même si j’ai peur que ça disparaisse à cause de l’IA d’ici à ce que je sois dans le monde du travail ». Mais le numérique attire aussi naturellement certains de ces jeunes qui ont grandi dans un environnement où le digital est omniprésent.

Comme en témoigne Sacha, qui aimerait faire du design de jeux vidéo. Et qui prend un peu d’avance : « J’apprends à me servir d’un logiciel de modélisation 3D. C’est parfois assez technique, car il faut faire de la programmation », confie-t-il. Une touche de lucidité et un zeste d’interrogations dans le concret et le rêve que vous aurez mélangés à parts égales : tel est le cocktail ennivrant de l’option AA en seconde. Six heures par semaines.

Que font-ils ? La première rencontre s’est faite avant les vacances de Toussaint, alors que les lycéens terminaient le premier morceau de l’année. Le bouclage aussi de leur tout premier projet créatif : un travail sur le packaging. Les enseignantes aiment démarrer leur programme par là car cela permet d’aborder de nombreux fondamentaux et les bases de l’histoire de l’art. Chaque élève s’est vu remettre le nom d’un artiste célèbre, à charge pour lui de décrypter sa “grammaire”, ses marqueurs, son style. Et de se l’approprier pour créer l’emballage d’un parfum qui serait en rapport avec cet artiste...

Floris Bressy 

Ils viennent des quatre coins du Limousin

Seulement une minorité d’entre eux sont Creusois. Certains arrivent de Corrèze. Mais la plupart sont originaires de Haute-Vienne. Les élèves de secondes suivant l’option Arts appliqués au lycée Raymond-Lœwy de La Souterraine viennent de l’ensemble de l’académie de Limoges. Et parfois d’assez loin.

La grande majorité de ces jeunes sont logiquement internes. Et s’il a pu être un peu difficile pour certains de quitter le cocon familial, ils ont su vite s’accommoder de cet éloignement forcé. « L’internat ? C’est trop bien !, s’exclame Éloïse M. Notamment parce que l’on n’a pas les parents sur le dos ». Les intéressés, qui vivent non loin de Limoges, apprécieront sans doute…

La plupart des élèves sont internes, ce qui renforce naturellement les liens entre eux.

Train et covoiturage

Cette cohabitation favorise par ailleurs l’esprit de corps entre les jeunes ayant opté pour le parcours artistique sostranien. « C’est comme une communauté, une petite famille », commente Eaman, venu de Boussac.

Une joyeuse fraternité semble donc régner dans les dortoirs. Et entre les niveaux, comme l’assure Margaux, originaire de Chailhac, près de Saint-Junien :

Nous pouvons compter sur les premières et les terminales pour nous aider et nous conseiller.

Nombre de ces artistes en herbe rejoignent La Souterraine par le rail, le lundi matin, souvent depuis la gare de Limoges Bénédictins. Et font le chemin inverse le vendredi soir. Soit entre 30 et 45 minutes de trajet, selon les trains, TER ou Intercités.

Mais le périple s’avère moins reposant pour d’autres. À l’image de Maud, venue de Seilhac, au nord de Tulle. Et qui fait 1 h 30 de voiture, en début et en fin de semaine, pour se rendre à Raymond-Lœwy. « Mes parents et ceux de Charlie P., qui n’habitent pas loin des miens, se relaient, une semaine sur deux, pour nous amener. Il y a bien des trains qui partent de Brive, mais les horaires ne sont pas pratiques et il y a souvent des retards », détaille la lycéenne.

Des familles qui se (ré)organisent 

Certaines familles n’hésitent pas à faire des choix importants, pour la bonne marche de la scolarité de leurs rejetons. Comme, par exemple, celle de Raphaëlle. Ses parents ont récemment changé de travail et déménagé de Corrèze pour s’installer à Jourgnac, au sud de Limoges. « Ils voulaient faire autre chose. Mais ils souhaitaient aussi que l’on soit plus proche de l’internat. »

Même raisonnement dans la famille de Jade, mais encore plus grand format : « Moi, j'arrive de Paris. Mes parents se sont installés à Fursac. Ils voulaient aller à la campagne et nous avons profité de mon orientation pour ce changement de vie ».

François Delotte 

Notre Nouvelle Série, la leur. Et si on restait plus longtemps auprès d’eux ? C’est une envie de série qui a émergé au fil d’autres sujets. Car si La Montagne se rend souvent dans les lycées, c’est au coup par coup et en des occasions précises. Mais que se passe-t-il entre-temps ? Comment se déroule toute l’année au bahut ? Que pensent les jeunes creusois de tout ça ? De vous, de nous ? Le journal centenaire voulait retrouver de la jeunesse. Et briser quelques barrières ou idées reçues au passage. Pour cela, nous avons choisi d’aller voir, et revoir donc, deux classes de seconde. Un niveau charnière, suffisamment fertile en questionnements, susceptible de nous offrir de belles évolutions et plein de surprises. Dans deux filières qui sont emblématiques du territoire : les arts appliqués de La Souterraine, l’agriculture à Ahun. En alternance entre ces deux établissements, une page entière leur sera consacrée tous les quinze jours. Belle lecture. Ps : oui, ils lisent aussi !

Toutes les photos sont de Floris Bressy