A l'hôpital d'Aubusson, le personnel est toujours mobilisé : "La santé, c'est pas fait pour rapporter de l'argent"
«Débraye, ça fume ! », « Alerte canicule ! À l’hôpital d’Aubusson, la direction a pris un coup de chaud et déplace les soldes au 1er septembre : - 40 % sur le personnel ! ». Devant l’hôpital du Mont, des pancartes affichent un sens de l’humour que le personnel tente de garder malgré tout. Politesse du désespoir ?
Trois semaines après le début de la mobilisation, le débrayage d’une heure quotidienne rassemble toujours tant bien que mal un personnel à bout de souffle. Sans effet : « Ce qu’on a eu ? Rien du tout. On ne nous a rien proposé », lâche Magali Bouchet, la déléguée CGT de l’établissement. Le sourire en dit long : elle n’attendait pas forcément quelque chose. Mais bon, de là à prendre un nouveau coup de massue la semaine dernière : « Lors du comité technique d’établissement mardi dernier, on nous a annoncé 40 % de personnel en moins en septembre. Ils vont fermer trois lits en SSR (Soins de suite et de réadaptation) et quatre en médecine. »Alors ce lundi, alors que devait se tenir le conseil de surveillance à l’hôpital, le personnel a sorti chipolatas et chips devant l’hôpital sur le coup des midi. Un comité d’accueil juste à l’entrée du parking : « L’ARS doit venir signer le Cref (Contrat de retour à l’équilibre financier) : on est là pour qu’il y ait du monde quand ils vont arriver. Pour leur demander : pourquoi vous flinguez le sud de la Creuse comme ça ? Je sais bien qu’on veut tout ramener vers les métropoles mais moi, je suis bien, là, je veux pas aller à Bordeaux. Et les gens d’ici, ils vont aller où ? Il y en a plein qui ne se feraient pas soigner si on n’était pas là. »Sylvie, 32 ans passés dans sa blouse blanche d’aide-soignante, se demande bien aussi où elle irait si… « J’ai commencé ici au Mont, puis je suis allée à la Croix-Blanche et à l’Ehpad Saint-Jean. Là, je suis revenue à la clinique. »
« Moi, j’ai choisi ce métier parce que j’aime les personnes âgées, j’aime l’humain, j’aime le relationnel. Mais depuis quoi, cinq, dix ans, c’est plus pareil. »
« On est moins nombreux donc on a moins de temps pour faire le même travail. Il faut s’organiser : les toilettes qu’on n’a pas le temps de faire le matin, on les fait le soir. Et il y a des jours où on n’a pas trop le temps de discuter avec les gens. Mais on essaie de garder quand même ces relations-là. Pour les familles, pour les résidents, nous, les aides-soignantes, on est un peu au cœur de tout : c’est à nous que les gens se confient le plus. Et là, on apprend qu’on va être encore moins nombreux. Alors oui, ça m’inquiète. » Et elle est pas la seule.Patrick ne travaille pas là mais il est venu en soutien : sa femme est infirmière ici. « Ça fait vingt ans que ça dure : elle part au boulot la boule au ventre et le soir, elle rentre décomposée. » Alors forcément, avec ce qui s’annonce…
« On ne demande pas que nos salaires augmentent, juste être plus nombreux »« Là, on est dix infirmières, enchaîne Isabelle. À la rentrée, on passe à six. Et cet été, on travaille douze heures d’affilée sinon, on n’avait pas de vacances. À côté de ça, la direction dit qu’Aubusson a un vrai confort de travail. » « Pourtant, Aubusson est bien représentatif du système de santé français : on court à la catastrophe. Alors, oui, je suis en colère : la santé, ce n’est pas fait pour rapporter de l’argent. Aujourd’hui, quand un patient rentre, la première chose qu’on lui demande, c’est s’il veut une chambre individuelle. En soins palliatifs, on fait payer le lit accompagnant. Et vous savez que si vous avez plus de 70 ans et que vous faites un malaise cardiaque, l’hélico ne se déplace pas ? Tout ça me met en colère, oui. À la base, on est là pour le bien-être des gens. Moi, j’aime mon métier mais il n’y a pas longtemps, j’ai dû m’arrêter : lumbago. En avoir plein le dos, c’est ça. Alors, bon, ça va parce qu’il y a encore de la solidarité entre nous mais quand on est à flux tendu, ça fait monter les tensions. Vous savez, nous, on ne demande même pas que nos salaires augmentent, on veut juste être plus nombreux. »Séverine Perrier