La présence d'Antoine Dupont en une de têtu· cet été n'est pas un hasard. C'est aussi le fruit d'une réelle mobilisation de la Ligue nationale de rugby (LNR) sur les questions d'inclusion. Dans le cadre de son programme "Plaquons l’homophobie", explique à têtu· son directeur général Emmanuel Eschalier, elle sensibilise, par le dialogue, ses athlètes et les membres de son staff.
- Qu'est-ce qui vous a décidé en 2020 à lancer l'opération "Plaquons l'homophobie" ?
Emmanuel Eschalier : Cette année-là, nous avons remis à plat notre stratégie d'engagement sociétal. Nous sommes convaincus que le rugby est un sport singulier où le respect est une valeur fondamentale. Tout le monde y a sa place et la diversité des profils y fait la force du collectif. L’engagement pour l'inclusion et la diversité, et donc contre l'homophobie, nous a donc semblé naturel. Nous avons alors lancé le programme "Célébrons la diversité", avec comme premier pilier la thématique du respect des différences d'orientation sexuelle.
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- Dans un sondage que la LNR a commandé en 2020, 95% des joueurs pro estiment que le rugby symbolise le sport du vivre-ensemble mais 75% d’entre eux estiment qu’il n’est pas facile d'y parler d'homosexualité. Comment expliquez-vous cela ?
Ces chiffres montrent que les joueurs ont conscience de la difficulté à vivre leur homosexualité dans un sport où la virilité est très présente. Dans une équipe de rugby, le collectif prime. On peut supposer que les joueurs homosexuels craignent d’affirmer leur orientation sexuelle, pour ne pas fragiliser le collectif.
- Comment avez-vous pensé cette campagne contre l'homophobie ?
Nous ne l’avons pas organisée comme une campagne de lutte contre l'homophobie mais plutôt comme une façon de lutter contre une méconnaissance sur ce sujet. Nous avons d’abord réalisé plusieurs actions de sensibilisation, en repeignant par exemple les lignes du terrain en arc-en-ciel à l'occasion de la Journée mondiale de lutte contre l'homophobie en 2022. En 2023, la LNR a aussi diffusé, dans l’ensemble des stades de TOP 14 et de PRO D2, le film Rugby is my pride, campagne menée à l’occasion de la Coupe du monde avec la Fédération, le comité d’organisation de la Coupe du monde et la fédération internationale. Enfin, depuis mai dernier, nous menons des ateliers au sein des clubs de TOP 14 et de PRO D2, où les joueurs prennent la parole durant des tables rondes.
- Comment se déroulent ces ateliers ?
On a créé un espace de dialogue libre, sans caméras, sans médias mais aussi sans le staff. Seuls les joueurs sont réunis. On a des réactions et des prises de parole très diverses.L’objectif des ateliers est de déconstruire les préjugés, de faire comprendre la difficulté pour des joueurs homosexuels à vivre cette situation sans pouvoir le dire. Les ateliers permettent aussi de rappeler que l'homophobie n’est ni un point de vue, ni un avis, mais un délit.
- Comment les joueurs y réagissent-ils ?
Ce ne sont pas des ateliers descendants. Un travail pédagogique est mené par un représentant de la Ligue et par têtu·connect, pour faire comprendre que l'homophobie n’a pas sa place dans un club de rugby, ni dans les stades. Cette approche permet d’engager la discussion et les joueurs soulèvent beaucoup de questions. C'est un sujet dont ils ne parlent jamais entre eux. Parfois, c'est la première fois qu'ils en parlent dans le groupe. On peut espérer que ces discussions-là permettent d'autres échanges a posteriori.
- Avez-vous essuyé des refus de la part de joueurs ou de clubs de participer à cette opération ?
Non, nous n’avons n’a pas eu de refus de la part des clubs ou des joueurs. Comme sur tous les sujets, certains clubs sont plus sensibilisés que d’autres. Nous avons juste mis un peu plus de temps dans certains clubs. C’est un programme collectif qui n’est pas fait par une poignée depuis les bureaux de la Ligue à Paris. Au contraire, ce travail est partagé avec tous les présidents de clubs de TOP 14 et de PRO D2. Depuis le début de cette année, nous avons d’ailleurs étendu nos ateliers aux staffs techniques, à la demande des présidents de clubs eux-mêmes.
"Le fait qu'Antoine Dupont, l'un des plus grands joueurs de rugby au monde, prenne la parole et s’engage vraiment contre l’homophobie, fait honneur à notre sport."
- Dans le rugby pro, il n’y a qu’un seul joueur qui a fait son coming out, Jérémy Clamy-Edroux (aujourd’hui évoluant en Fédérale 1). Est-ce que ça serait une victoire pour vous que d’autres joueurs le fassent à leur tour ?
Le premier message que nos intervenants portent, c’est qu’il n’y a pas d'obligation à le faire. L’important est que les joueurs sachent qu’ils peuvent le faire s’ils le souhaitent, dans un environnement bienveillant. Ces ateliers doivent permettre aux joueurs homosexuels de se sentir mieux. À mon sens, que les joueurs fassent leur coming out auprès des médias n’a pas grande importance. L'important est de pouvoir le faire auprès des autres joueurs car c’est avec eux qu’ils partagent leur quotidien.
- Comment pensez-vous que la une de têtu· avec Antoine Dupont sera perçue dans le monde du rugby ?
Je suis persuadé qu'elle sera très bien perçue, comme une fierté et la marque d’un certain courage. C’est important que les joueurs soient porteurs de messages de tolérance et de respect qui sont inscrits dans notre culture. Antoine Dupont est l’ambassadeur du rugby français depuis plusieurs années. Par ses performances et sa personnalité, il incarne le rugby auprès du grand public. Le fait que lui, l'un des plus grands joueurs de rugby au monde, prenne la parole et s’engage vraiment contre l’homophobie, fait honneur à notre sport.
- Quel regard portez-vous sur sa trajectoire sportive ?
C’est un joueur qui a le rugby chevillé au corps. Il a envie d'aller sur tous les terrains, de repousser ses limites en permanence. Il s'est adapté au rugby à 7 en très peu de temps, alors que ce n’est pas le même sport, ni la même préparation physique. Il est en route à la fois vers le bouclier de Brennus et vers les Jeux olympiques. C’est impressionnant !
- Si vous deviez le comparer à d’autres athlètes, à qui pensez-vous ?
Je dirais Zinédine Zidane, par sa capacité, tout en restant très humble, à être chef d'orchestre d'une équipe qui est au plus haut niveau de sa discipline. Je dirais aussi Carl Lewis, capable de passer d'une discipline à l'autre en étant toujours au top niveau.
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Crédit photo : LNR