Il teste les lots de cantal AOP avant leur commercialisation : Michel Margot, l’œnologue des fromages
Depuis plus de trente ans, Michel Margot est gradeur. Son travail : tester les lots de cantal AOP avant commercialisation, en vérifiant l’aspect, la pâte, la texture et surtout le goût. Un outil de travail indispensable pour le Comité interprofessionnel des fromages et la filière et un gage de qualité pour le consommateur.
« Comme l’agriculteur qui, dans un troupeau, identifie la bête malade d’un seul coup d’œil, je repère dans un groupe de fromages celui qui cloche », sourit Michel Margot, en enfilant sa blouse blanche avant d’ajuster sa charlotte sur la tête. Accueilli, ce jeudi-là, par le maître des lieux, Patrick Malpel, affineur pour Les Fromageries occitanes de Saint-Mamet-la-Salvetat, qui exploite le tunnel de Montagnaguet, un ouvrage de 600 mètres de long et enfoui une trentaine de mètres sous terre, situé sur l’ancienne ligne ferroviaire entre Saint-Flour et Brioude, Michel Margot se balade entre les milliers de fromages alignés sur plusieurs dizaines de mètres.
Des tunnels ferroviaires devenus caves à fromage, dans le Cantal
Indifférents à ses allées et venues, deux employés prodiguent les soins. Ils retournent des meules. Ils les frottent à l’aide d’une toile de jute, qui va venir dégager le « bouton », avant de les ranger un peu plus loin et de racler la table pour éviter que les prochains « locataires » ne collent à la planche.
« On est sur des fromages de masse. Une meule pèse environ 400 kg. Si on ne les retourne pas, ils auraient tendance à se déformer. »
90 % du tonnage avant commercialisationLa forme et la croûte, justement, font partie des critères que Michel Margot doit évaluer.
Pour un cantal entre-deux, la croûte doit présenter un joli boutonnage doré, contrasté et en relief.
Son métier ? Gradeur. Une profession créée dans les années 80 par le Comité interprofessionnel des fromages (CIF) afin d’évaluer la qualité des cantals – et des salers – avant leur commercialisation. Depuis une trentaine d’années, Michel Margot et ses deux collègues parcourent les caves d’affinage du Cantal, mais aussi quelques-unes dans l’Aveyron et en Corrèze. 700 à 800 kilomètres, du lundi au vendredi, pour goûter les fromages et les noter.« L’AOP s’est imposé de grosses contraintes puisqu’il y a obligation pour chaque affineur de faire noter un minimum de 90 % du tonnage commercialisé dans les trois catégories de cantal (jeune, entre-deux et vieux) », explique Benjamin Meilhoc, président du CIF.
« Le goût doit être fruité, intense, riche et franc »Accompagné du responsable du site, Michel Margot doit évaluer un lot d’une centaine de meules de cantal entre-deux (dont la durée d’affinage dure entre 90 et 210 jours) qui doivent bientôt redescendre pour être vendues dans les crémeries. Épaisseur, croûte, parfum… Rien ne lui échappe.Le rituel est toujours le même : Michel Margot commence par l’aspect extérieur, à l’œil et au toucher. Puis vient le temps de juger la pâte. À l’aide de sa sonde, préalablement chauffée dans sa main, il prélève un morceau de fromage.
« La façon dont on arrive à retirer la carotte donne déjà une indication »
Il prend la pâte entre ses doigts. Vérifie que la texture ne soit pas trop compacte ni trop collante. Surveille l’excès de persillage. Puis vient le moment de la dégustation. Il sait reconnaître les goûts francs, riches en arômes, que l’on garde en bouche. Et il traque les sensations trop fugitives, l’abus d’acidité ou de piquant. À l’image d’un œnologue qui retrouve en bouche et au nez les arômes d’un vin. « Le goût doit être fruité, intense, riche et franc », explique-t-il. Cette fois, il le trouve légèrement acide.
« Un vrai outil de travail pour la filière »Puis Michel Margot attribue ses notes, de 1 à 4, et rentre les données dans sa tablette numérique. « La notation peut paraître dure parfois, elle n’est pas à l’attention du consommateur, elle est interne à la profession. » Ce que comprend parfaitement Patrick Malpel : « C’est un peu stressant, car on met notre savoir-faire dans la fabrication, mais pour nous, l’intérêt du gradage, c’est de nous permettre d’avoir des produits réguliers et de qualité, mais aussi de pouvoir remonter la fabrication, si des défauts apparaissent : cela peut venir du lait, mais également du fourrage en fonction de la météo… »
« Le gradage est un vrai outil de travail pour la filière, avant d’être un contrôle pour la commercialisation. Avec l’apport des outils numériques, cela va nous permettre d’être encore plus performants sur la remontée des données et de pouvoir travailler encore plus la qualité de nos produits. »
Le Cantal est le seul département à porter le nom d’un fromage AOP. La zone historique de production n’a pas changé depuis le décret fondateur de 1956. Elle comprend tout le département du Cantal et s’étend sur une partie des départements limitrophes : Puy-de-Dôme, Corrèze, Haute-Loire, Aveyron. En revanche, contrairement à certaines autres AOP, aucune race de vache n’est imposée dans le cas du Cantal. « Le CIF compte, pour la filière Cantal, environ 880 producteurs laitiers, 24 entreprises laitières privées ou coopératives qui collectent le lait chez les producteurs et 75 producteurs fermiers », indique Benjamin Meilhoc, le président du CIF. Pour obtenir le label AOP, les producteurs doivent respecter plusieurs critères. Leurs vaches – une bête maximum par hectare – doivent notamment être nourries d’au moins 70 % d’herbe. Pendant les beaux jours, cela se traduit par un pâturage obligatoire de 120 jours minimum par an. Et si les conditions climatiques ne permettent pas de sortir les bêtes, chacune d’entre elles doit recevoir au minimum 5 kg de foin de la zone par jour. Bien évidemment, les aliments OGM sont interdits.
Emmanuel Tremet