Macron et le dilemme corse: alignement d'étoiles et sérieux trous noirs
POLITIQUE - "Jamais les conditions n'ont été aussi favorables pour que la question corse se règle de façon apaisée et durable par une solution politique". Voilà le message qu'a adressé ce dimanche au premier ministre Edouard Philippe le chef de file de la coalition nationaliste, Gilles Simeoni.
Auréolé d'une victoire historique qui a vu sa coalition Pè a Corsica (Pour la Corse) s'imposer avec plus de 56% des suffrages exprimés au second tour des élections territoriales, le dirigeant autonomiste ne veut pas perdre de temps. "Il ne faut pas laisser passer cette chance", plaide-t-il dans un entretien accordé au Mondeen réclamant au gouvernement "une méthode et d'un calendrier pour construire une solution". Confronté à une configuration politique inédite sur l'Île de Beauté, Emmanuel Macron ne peut pas l'ignorer.
Les nationalistes en position de force
En prenant les rênes de la nouvelle collectivité unique qui verra le jour en 2018, le camp nationaliste dispose en effet pour la première fois d'une base arrière politique puissante, la super-région corse, et d'une légitimité électorale indéniable pour contraindre Paris à tenir compte de ses revendications identitaires. Une position de force renforcée par le caractère rassurant de Gilles Simeoni d'une part et par la posture constructive des indépendantistes de Jean-Guy Talamoni d'autre part. Membres de la coalition Pé a Corsica, ces derniers ont (officiellement) renoncé à la violence et repoussent tout référendum d'autodétermination à la prochaine décennie. Un gage qui devrait faciliter le dialogue avec Emmanuel Macron et Edouard Philippe.
Face à cet alignement d'étoiles sur l'Île de Beauté, les nationalistes ont la chance de trouver face à eux un gouvernement et un président dont la doctrine vis à vis du statut corse n'est pas encore complètement arrêtée. Pendant sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron avait marqué son attachement à l'indivisibilité de la République française (qui a valeur constitutionnelle) et avait refusé de céder aux revendications "clientélistes" insulaires. "En même temps", le futur président s'était montré ouvert au principe d'adapter le statut corse à ses "spécificités", écartant tout "tabou" dans le fait de dialoguer avec les nationalistes.
"S'il apparaît que le cadre actuel ne permet pas à la Corse de développer ses potentialités, alors nous pourrons envisager d'aller plus loin et de réviser la Constitution", avait promis en avril le candidat, tout précisant qu'un tel scénario "ne sera pas simple".
Des revendications hautement problématiques
Toute la question est de savoir comment Emmanuel Macron entend faire vivre ce "et en même temps" en tant que chef de l'Etat, garant de la Constitution. Resté silencieux sur le sujet depuis la percée nationaliste du premier tour, le président de la République va devoir arbitrer des revendications dont la plupart nécessiteraient une révision constitutionnelle, voire une remise en cause du pacte républicain.
Favorable à la décentralisation et au principe du "droit à l'expérimentation" des collectivités locales, Emmanuel Macron pourrait se montrer ouvert sur un renforcement des prérogatives de la collectivité corse, qui disposent déjà de nombreuses compétences. Mais ira-t-il jusqu'à valider un transfert du pouvoir législatif de plein droit en matière de fiscalité et d'économie comme le réclame la coalition nationaliste? "Ce statut existe déjà pour la Polynésie française ou, à un autre niveau, pour la Nouvelle-Calédonie", dédramatise Gilles Simeoni.
La co-officialité de la langue corse et la reconnaissance juridique du "peuple corse", deux exigences martelées par Gilles Simeoni, constituent un autre dilemme, alors que la reconnaissance constitutionnelle des langues régionales s'est toujours heurtée à de vives oppositions politiques et juridiques. Pendant sa campagne, Emmanuel Macron avait déjà proposé de couper la poire en deux: "La République a une langue : le français (...), ça n'interdit pas qu'on enseigne des langues qui font partie de la culture et de la vie de chacun". Mais le Conseil constitutionnel a d'ores et déjà jugé que la mention de "peuple corse", même désigné comme étant une "composante du peuple français", était contraire à la Constitution "laquelle ne connaît que le peuple français sans distinction d'origine, de race ou de religion".
Autre sujet de discorde, la question de l'amnistie des "prisonniers politiques" corses. Réclamée par la coalition nationaliste pour acter la fin de quarante années de conflit entre l'île et Paris, elle impliquerait d'amnistier des personnalités reconnues coupables de terrorisme, dont l'assassin du préfet Erignac, Yvan Colonna. Solution intermédiaire qui permettrait de ne pas piétiner l'indépendance de la justice: autoriser le rapprochement des détenus à la maison d'arrêt de Borgo en Corse.
Prudence et ouverture
Face à ces défis hautement politiques, l'exécutif ne ferme pour l'heure aucune porte. Le premier ministre Edouard Philippe s'est déjà dit prêt à recevoir la coalition à Paris "dès l'installation de la nouvelle collectivité". Quant au ministre de l'Intérieur Gérard Collomb, il a tenu à assurer "les nouveaux élus de la disponibilité du gouvernement pour, dans un esprit d'écoute, de dialogue et de respect mutuel, accompagner la création de la nouvelle collectivité et répondre aux nombreuses attentes exprimées par les Corses à l'occasion de ce scrutin".
La nomination d'un "Monsieur Corse", comme il en existe déjà un pour préparer la future réforme des retraites, serait un signe que l'exécutif se prépare à négocier.
En attendant, les nationalistes ne se privent pas d'agiter la carotte et le bâton, dans une répartition des rôles assumée entre autonomistes et indépendantistes. "Nous ne sommes pas dans une logique du tout ou rien. Nous nous sommes donné à dessein un objectif de moyen terme : trois ans pour construire et obtenir ce statut d'autonomie, dix ans pour le mettre en œuvre", rassure Gilles Simeoni dans Le Monde.
"Si Paris manifeste à nouveau un véritable déni de démocratie, nous serons contraints de susciter des manifestations populaires en Corse", a mis en garde Jean-Guy Talamoni de son côté. En Corse aussi, on maîtrise la rhétorique du "en même temps".
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